LA GAZETTE DU CLUB DES MONSTRES |
NUMÉRO 151
par Jean-François Berreville
UN PETIT QUI VOYAIT GRAND DE GRANDS PERSONNAGES POUR DE PETITS BUDGETS
Bert I. Gordon, passionné de cinéma obstiné en dépit des critiques. Créatures et Imagination faisait état récemment de la disparition de lacteur Joe Turkel, qui avait incarné Tyrell, le concepteur du programme génétique à lorigine des Répliquants dans le film Blade Runner de Ridley Scott et avait un peu plus tôt interprété le barman fantôme de Shining de Stanley Kubrick. Sil avait déjà tourné sous la direction de ce dernier dans Les sentiers de la gloire (Paths of Glory), il était aussi apparu au générique de plusieurs films de Bert I. Gordon, Tormented, The Boy and The Pirates et Village of the Giants. Le réalisateur, centenaire, vient à son tour de séteindre le 8 mars 2023. Son implication prolongée dans le cinéma de limaginaire, mettant régulièrement en scène des êtres extraordinaires, mérite quon lui rende ici hommage. Utilisant la rétroprojection pour diminuer ou plus souvent encore agrandir à lécran la taille de ses protagonistes, il avait reçu du créateur du magazine Famous Monsters Forrest J. Ackerman le surnom de Mister Big, condensé de ses initiales mais qui signifie aussi "grand" en anglais. Né le 24 septembre 1922, lAméricain Bert Ira Gordon avait commencé à se familiariser dès lâge de 13 ans avec le cinéma et avec les techniques les plus accessibles deffets spéciaux grâce à une caméra offerte par sa tante. Il sengagea dans laviation américaine lors de la Seconde guerre mondiale. Il se marie au sortir du conflit avec sa première épouse, Flora, avec laquelle il réalise des publicités pour la télévision. Au début des années 1950, il est engagé comme assistant de production par la chaîne CBS sur la série Racket Squad et en 1954 il est le producteur et le responsable de la photographie du film daventures Serpent Island réalisé par Tom Gries. Bert I. Gordon confia à ce dernier lécriture du scénario de son premier film réalisé lannée suivante, King Dinosaur, recyclant un certain nombre de plans empruntés à dautres pellicules. Lhistoire alterne romance et aventure de quatre explorateurs débarquant sur la planète Nova qui sest rapprochée de lorbite de la Terre. Celle-ci est très similaire à notre planète par son atmosphère, sa végétation et une faune tout droit sortie de lAmazonie mais comportant quelques représentants gigantesques, tatou, courtilière ou grillon-taupe et un monumental iguane trônant sur une île qui donne son titre au film et qui sera détruit par une bombe atomique.
En 1957, le réalisateur et créateur deffets spéciaux participe de la vague de films consacrés aux insectes géants avec The Beginning of the End. Prenant modèle sur le classique de lannée précédente, Des monstres attaquent la ville (Them !) de Gordon Douglas et son invasion de fourmis géantes, il débute par un climat de mystère en dévoilant des habitations dévastées par une force inconnue. En dépit de la volonté de censure de larmée voulant prévenir la panique, la vérité est découverte par la journaliste obstinée Audrey Aymes (Castle Peggie) : les fruits géants quest parvenu à obtenir un centre de recherche agronomique ont propagé chez des criquets un gigantisme que na pu prévenir le responsable chargé du contrôle des insectes interprété par Peter Graves, le Docteur Wainwright. Ces gigantesques criquets migrateurs de vrais criquets que Bert I. Gordon fait avancer sur des photos de monuments avec un séchoir pour donner limpression quils les escaladent vraiment finissent par gagner Chicago en semant la destruction au point que larmée envisage de larguer une bombe atomique, jusquà ce que le chercheur ait lidée de les attirer dans le Lac Michigan pour les noyer en y faisant diffuser au travers de haut-parleurs leur stridulation daccouplement. Le réalisateur parvint à obtenir une autorisation spéciale du département dÉtat à lagriculture pour faire venir des criquets du Texas jusquen Californie à la condition quil ne sagisse que de mâles afin déviter leur implantation locale, et encore un représentant de ladministration vérifiait-il tous les matins quaucun individu ne sétait échappé ; cependant, la promiscuité des mâles éveilla chez eux la propension au cannibalisme entre deux tournages, de sorte que ne demeurèrent que douze acteurs hexapodes disponibles pour la scène finale...
Bert I. Gordon enchaîna avec The Cyclops, qui lui valut un séjour en prison faute davoir sollicité une autorisation de tournage. Estimant quil pouvait économiser le budget en réalisant des scènes supplémentaires durant la nuit grâce à une pellicule spéciale, il se blessa après sêtre substitué au cameraman initial qui contestait le procédé. Susan Winter (Gloria Talbot) recherche son mari, un pilote dessai qui a disparu au Mexique. Lexpédition est confrontée à divers animaux géants effrayants, la radioactivité naturelle de lendroit ayant eu à long terme un effet spectaculaire sur la croissance des organismes. Lépoux a survécu, gravement défiguré et nayant plus quun il, et est lui aussi devenu gigantesque, donnant la chasse à léquipe qui se réfugie dans une grotte. Les choses sont aggravées par lavidité du prospecteur joué par Lon Chaney Jr, tout à sa joie davoir découvert le gisement duranium. Lépouse peine à accepter que son cerveau endommagé en ait fait une brute dangereuse, laquelle connaîtra finalement le sort terrible du Polyphème mythologique auquel renvoie le titre. Toujours la même année, le réalisateur met en scène un autre géant dans The Amazing Colossal Man ; cest en essayant de sauver le pilote dun avion de tourisme pris dans un essai atomique que le Colonel Glenn Manning (Glenn Langan) est contaminé par la radioactivité et, après avoir perdu ses cheveux, commence lui aussi à voir sa taille croître irrésistiblement révélée notamment au travers dun mobilier de plus en plus miniaturisé pour créer le contraste, conçu par Paul Blaisdell, au point de devoir être logé sous un chapiteau, ce qui lui donne limpression dêtre devenu un phénomène de foire, tandis que les scientifiques sefforcent de comprendre le processus, parvenant à réduire la taille danimaux de ménagerie. Désespéré, bien quà linstar du film précédent, sa fiancée Carol Forrest (Cathy Downs) lui conserve son amour, et perdant la raison du fait que son cur peine à envoyer au cerveau une quantité de sang suffisante pour lirriguer correctement, il erre dans Las Vegas où il cause quelque destruction, empale le médecin qui voulait lui administrer un remède avec la pointe de la seringue qui lui a fait mal, puis dans une fin réminiscente de King Kong, accepte de reposer à terre sa fiancée avant dêtre abattu par larmée et de chuter dans le fleuve Colorado.
Le personnage revient en 1958 dans une suite, Revenge of the Colossal Man aussi connue sous le titre War of the Colossal Beast avec le rôle du Colonel Manning repris par Duncan Dean Martin, qui avait déjà sous le masque endossé le rôle du géant de The Cyclops et est à nouveau borgne suite à sa chute. Comme dans celui-ci, une femme, cette fois sa sur, Joyce Manning (Sally Fraser), part à sa recherche au Mexique où un camion transportant des victuailles a été mystérieusement soulevé et où une empreinte de pas gigantesque est imprimée dans le sol. Le colosse est capturé par larmée et ligoté dans une base militaire où sa sur tente de le calmer depuis une passerelle dans des plans qui annoncent assez King Kong 2, mais il séchappe plusieurs fois et décide finalement de se suicider en sélectrocutant volontairement avec un pylône dans un épilogue tourné en couleur clôturant cette trilogie de géants maudits.
Bert I. Gordon revint aussi la même année aux animaux géants ; stimulé par le succès de Tarantula réalisé par Jack Arnold en 1955, il entreprend de mettre à son tour en 1958 en vedette une mygale rendue gigantesque par le même procédé de rétroprojection, et inclue aussi une scène d'irruption dans une demeure d'une patte titanesque créée par Paul Blaisdell. À l'instar de Danger planétaire (The Blob) réalisé la même année, le couple d'adolescents du film, Mike (Gene Persson) et Carol (June Kenney), éprouve des difficultés à convaincre le shérif de la menace découverte dans une grotte, jusqu'à l'horrible évidence sous la forme d'une victime vidée de son énergie, conçue selon toute vraisemblance par le maquilleur Paul Blaisell pour une somme modique. Lénorme arachnide semble vaincu mais un groupe musical aux violentes percussions finit par réveiller le monstre. La connaissance du réalisateur en matière de pellicule quil avait déjà mise à profit sur The Cyclops lui permit de tourner grâce à un film ultrasensible et à temps dexposition long des plans de The Spider dans les Cavernes de Carlsbad au Nouveau-Mexique où lutilisation dun éclairage brillant nest pas permis afin de ne pas perturber lécosystème.
Un autre classique de Jack Arnold, confrontant lespace dune séquence un homme et une araignée bien plus grosse que lui, avait marqué les esprits, LHomme qui rétrécit (The Incredible Shrinking Man) et, toujours en 1958, Bert I Gordon entreprit également de mettre en scène des personnages minuscules mais au lieu de sinspirer du film précédent, il se place plutôt dans la lignée du Dr Pretorius et de ses homoncules de La Fiancée de Frankestein (The Bride of Frankenstein) de James Whale ainsi que du savant éponyme de Dr Cyclops dErnest Schoedsack, avec son fabricant de poupées Franz interprété par John Hoyt dans La révolte des poupées (Attack of the Puppet People) qui se prend pour un démiurge en miniaturisant des êtres humains quil tient en sa merci. Cest cependant moins une conception pervertie de la science qui lanime comme ses deux prédécesseurs, quune phobie maladive de la solitude le rendant presque pathétique, lorsquil trouve par cet étrange procédé le moyen de garder à ses côtés ceux qui veulent le quitter telle sa dernière secrétaire. Il les range dans de petites boîtes et les sort régulièrement de leur catalepsie pour leur offrir des plages festives, avec une affection paternaliste mais qui nen témoigne pas moins dune possessivité purement égoïste, son petit monde en représentation nexistant que pour le divertir. Lorsque les investigations de la police enquêtant sur les disparitions se resserrent autour de lui, il ne songe, à lissue dune ultime séquence ludique prévue dans un théâtre fermé, quà les anéantir avant de se suicider, mais le petit ami miniaturisé (John Agar, acteur célèbre de la science-fiction de lépoque) parvient à senfuir avec sa fiancée, la secrétaire, et après avoir échappé à un chien hargneux qui paraît titanesque à leur échelle, ils découvrent un colis adressé à Franz, sy introduisant afin dêtre acheminé à son domicile, activent le dispositif en le réglant sur la position inverse et regagnent leur taille dorigine avant de se trouver face à leur mauvais génie, piteux à présent quil est dépourvu de toute emprise à leur endroit. Hoyt confère une vraie intensité à son personnage tourmenté. On voit quau travers de ces histoires exubérantes de changement de taille, Bert I. Gordon parvient à intéresser au sort de ces personnages, et dans ce dernier film, cest cette fois celui dont la taille ne change pas qui apparaît monstrueux, tout en suscitant un soupçon de compassion.
Dans les années 1960, le réalisateur se renouvelle en traitant du gigantisme sous un angle moins tragique, dans lesprit plus léger du cinéma de lépoque. Le ton du Village des géants (The Village of the Giants) sécarte notablement du drame de pitoyables personnages que leur gigantisme dépossédait progressivement de leur humanité et conduisait à un sort funeste. Ce film de 1965 inspiré partiellement par le roman dH.G. Wells La nourriture des Dieux (The Food of the Gods) sapparente davantage avec son ton souvent badin à une forme de comédie à la manière du futur Chérie, jai agrandi le bébé, et comporte quelques numéros musicaux à linstar des films alors destinés au public adolescent. Une substance conçue par un génie précoce, le très jeune Ron Howard (future vedette de série télévisée et réalisateur de films comme Cocoon et Seul au monde), amène ceux qui labsorbent à grandir démesurément, et cest ce qui survient à des oies qui se mêlent à une fête dansante avant que les malheureuses passent à la broche pour un pantagruélique banquet, puis à un groupe dadolescents de passage dirigés par Fred (Beau Bridges) qui ont lidée saugrenue de tester le composé et deviennent des titans tout-puissants, tenant les adultes en leur pouvoir comme une préfiguration de la révolte estudiantine de mai 1968. La pulvérisation dun remède sous forme de gaz les ramènent à leur état dorigine et a raison de leur prétention, lorsque comme à la fin de La révolte des poupées, ils sont dépossédés de leur pouvoir de domination par le retour à la normale. Le film sachève sur une ultime touche humoristique avec larrivée à Hainesville dun petit détachement de nains espérant visiblement remédier à leur condition.
Le réalisateur aborde par ailleurs de nouveaux genres de limaginaire dans la décennie. Avec Tormented, Bert I Gordon propose en 1960 un thriller surnaturel et psychologique très réussi. Un pianiste de jazz, Tom Stewart, incarné par un autre grand acteur de la science-fiction des années 1950, Richard Carlson, éconduit une jeune fille, Vi Mason (Judi Reding), au profit de Meg Hubbard (Lugene Sanders) avec laquelle il prévoit de convoler, mais son amante refuse sa décision et chute dun phare au cours de la dispute sans que son partenaire esquisse un geste pour la sauver. Par la suite, le souvenir de la noyée va se manifester avec une présence de plus en plus marquée aux yeux de Tom, celui-là croyant voir son corps dans un paquet dalgues, une trace de pas supplémentaire tandis quil chemine sur la plage avec sa bien-aimée, puis la défunte semblant se matérialiser sous la forme dune main, dune tête narquoise et finalement en entier alors quil sapprêtait à pousser du phare la petite sur de la future mariée, Sandy (Susan Gordon, fille du metteur en scène) qui sait quil a assassiné le batelier Nick (Joe Turkel), un maître-chanteur persuadé du meurtre de Vi quil navait jamais vue repartir de lîle. Le film est très subtil, il laisse entendre que le remords refoulé est la cause des visions de Tom, mais quelques éléments plus concrets, le flétrissement soudain des fleurs lors de la cérémonie du mariage et la bague de fiançailles de la jeune femme emportée par locéan qui revient mystérieusement sur une table, pourraient laisser penser que la hantise est bien réelle. La mort de Tom tombé du phare dans la scène finale semble le réunir avec Vi dans lépilogue, les deux corps étant rendus par la marée côte à côte avec la bague revenue au doigt de la morte, comme si cet amour non partagé était malgré tout concrétisé post-mortem. Tormented ménage ainsi lambiguïté tout au long du récit, à la manière du Crâne hurlant (The Screaming Skull) dAlex Nicol en 1958, autre histoire de vengeance féminine posthume, deux uvres sous-estimées qui mériteraient dêtre réévaluées, annonçant par leur approche les ultérieurs Les innocents (The Innocents) filmé lannée suivante par Jack Clayton et La maison du diable (The Haunting) en 1963, classiques reconnus devenus des références du cinéma dépouvante reposant sur la suggestion.
La même année, Bert I Gordon met en scène un génie dans The Boy and the Pirates qui dépeint les aventures dun jeune garçon confronté à des brigands des mers, puis il revient plus ouvertement au Merveilleux avec Lépée sauvage (The Magic Sword). George, interprété par Gary Lockwood, future co-vedette de 2001, LOdyssée de lespace (2001 : A Space Odyssey) et sa mère adoptive, une sorcière bienveillante (Estelle Winwood, qui apparut précédemment dans ladaptation dun conte irlandais par les studios Disney, Darby OGil et les farfadets (Darby OGil and the Little People) qui a révélé Sean Connery), unissent leurs efforts pour contrecarrer le plan de Sir Branton (Liam Sullivan) et de son allié le maléfique sorcier Lodac (Basil Rathbone) décidé à laider à épouser la princesse Hélène (Anne Helm), en échange dun anneau magique. George triomphe des épreuves dont un géant simiesque, avant de tuer le dragon bicéphale cracheur de feu auquel Lodac sacrifiait les jeunes filles enlevées dont la famille navait pas versé la rançon, une assez belle création animée de lintérieur par deux manipulateurs. Le cinéaste raconte son histoire sous langle du pur Merveilleux, avec ce combat entre magie blanche et sorcellerie, le contexte chrétien médiéval de la légende de Saint George étant totalement absent du film à lexception de la croix qui figure sur la tunique de chevalier du héros, similaire à celle des Templiers. La pauvre réception critique na sans doute guère incité Bert I Gordon à persister dans le domaine, mais le film représente néanmoins un divertissement honorable assez similaire aux uvres ultérieures de lépoque comme la troisième version du Voleur de Bagdad (Il ladro di Bagdad) réalisée en 1961 par Arthur Lubin avec Steeve Reeves dans le rôle de Karim et Captain Sinbad dirigé en 1963 par Byron Haskin avec Guy Williams (la vedette de la série Zorro) dans le rôle principal au côté desquelles elle est digne de figurer.
Après avoir réalisé dans les années 1970 quelques comédies sexy comme How to succeed with sex ainsi que Witched/Necromancy avec Orson Welles interprétant un sorcier maintenant sous sa coupe une petite ville et Mad Bomber mettant en scène Chuck Connors dans le rôle dun terroriste, tous deux réalisés en 1972, Bert I Gordon pressent que la vague de films catastrophes dinspiration écologique est propice à proposer de nouveaux films confrontant des personnages à ses animaux exagérément grossis, dans la lignée des Rongeurs de lapocalypse (Night of the Lepus) de William T. Claxton en 1972 dont le titre original, à défaut de la bande-annonce plus énigmatique, ne dissimule pas que le sujet porte sur des lagomorphes démesurés et dévastateurs suite à une injection déstabilisant leur équilibre hormonal. Bert I Gordon décide ainsi en 1976 de sintéresser à nouveau au roman dH.G. Wells La nourriture des Dieux (The Food of the Gods) en en adaptant cette fois la première partie mettant en scène des animaux devenus géants après avoir absorbé un produit sécoulant du sous-sol dont un industriel interprété par Ralph Meeker voudrait bien exploiter les propriétés. La première partie du film suscite linquiétude au travers de la menace omniprésente que représente dorénavant la forêt, préfigurant latmosphère de Prophecy de John Frankenheimer dépeignant en 1979 un paysage de montagne hanté par son ourse mutante. La seconde orchestre le déferlement dattaques par des animaux géants déchaînés, notamment des rats, dressés à loccasion détudes universitaires, qui évoluent dans des décors miniatures, en alternance avec des modèles grandeur nature complémentaires de ses trucages optiques que le cinéaste a eu lheureuse initiative de commander à léquipe du célèbre maquilleur Tom Burman et à Rick Baker en renfort permettant de vraies interactions avec les interprètes. Les répliques mécaniques géantes des rats et guêpes sont très réussis et les vers de farine ainsi que le coq monumental sont tout particulièrement impressionnants, cette faune féroce donnant du fil à retordre à lathlète Morgan (Marjoe Gortner) et aux habitants de lîle. Le réalisateur est parvenu à mener à bien son projet dans les délais, en dépit de la coupure délectricité et de lépaisse couche de neige qui a recouvert la petite île au large de Vancouver sur laquelle avait lieu le tournage à loccasion de deux tempêtes soudaines, en usant de lance-flammes pour faire fondre la neige là où les scènes devaient être filmées.
Lannée suivante, Bert I Gordon réitère lexpérience avec LEmpire des fourmis géantes (Empire of the ants) mettant en vedette Joan Collins, future vedette de la série Dynastie, dans le rôle de Marilyn Fryser, un agent immobilier sapprêtant à faire visiter à des acheteurs un parc immobilier dans une île paradisiaque quand le navire commandé par le Capitaine Dan Stokely (Robert Lansing, personnage maléfique de 4D Man, qu'on retrouvera confronté à des arthropodes géants dans Island Claws en 1980 et The Nest en 1988) est attaqué par une horde de fourmis géantes après leur imprégnation par le contenu dun fût radioactif rejeté par la marée. Les naufragés tentent déchapper aux attaques des colonnes infernales qui quadrillent lîle, avant de détruire la colonie qui sest établie dans une sucrerie. Le tournage a eu lieu dans les jungles du Panama où vivent les fourmis mortelles dont le réalisateur avait besoin, nécessitant une grande prudence dans leur maniement. Le cinéaste recourut au grossissement des insectes filmés en macroscopie, frénésie de fourmis à la coloration d'un noir prononcé qui évoque un grouillement d'araignées, mais qui apparaissent parfois trop notablement superposés aux acteurs, ainsi qu'à des modèles géants pour les plans rapprochés. Lintensité du film faiblit parfois et LEmpire des fourmis géantes demeure la dernière contribution du cinéaste au thème des animaux géants, en dépit de sa tentative dachever Devil Fish en 1979. Bert I. Gordon avait appris dans cette perspective la plongée sous-marine et avait commencé à filmer des plans sous locéan après avoir cherché autour du monde les lieux les plus appropriés à son sujet. Le film devait mettre en scène des requins de quinze mètres de long et des diables des mers géants, le réalisateur déclarant alors avec un ton empreint de forfanterie quil sagirait de véritables poissons et pas dun requin mécanique comme celui des Dents de la mer (Jaws), espérant quil serait lui aussi un énorme succès et ferait plus dentrées que La Guerre des étoiles (Star Wars,), mais cet optimisme nétait visiblement pas partagé puisque le projet ne put être mené à son terme.
Bert I Gordon acheva sa carrière par quelques thrillers, le dernier, Secrets of a Psychopath en 2014 portant sur les rapports troubles dun tueur en série avec sa sur, dont il avait aussi comme pour nombre des films précédents écrit le scénario. Une dernière contribution notable au genre imaginaire est son film dépouvante de 1981 The Coming, aussi connu sous le titre de Burned at the Skate, qui revient sur lépisode tragique de la chasse aux sorcières qui sest déroulée à la fin du XVIIème siècle dans la petite ville de Salem aux États-Unis. Lors dune visite scolaire du musée consacré à cette page dhistoire, un personnage inquiétant sanime soudain au milieu des mannequins représentant les protagonistes de lépoque et terrifie une des fillettes. Celui-ci, William Goode, joué par David Rounds, est le père dune enfant devant être brûlée à Salem en tant que sorcière, lequel a brutalement été transporté à la fin du XXème siècle et sefforce de convaincre Loreen Graham (Susan Swift qui jouait déjà une réincarnée en 1977 dans Audrey Rose), parente et sosie de lauthentique accusatrice Ann Putnam qui la possède, de changer le passé en agissant au travers de cette interconnexion temporelle pour désavouer linquisiteur lors du procès, lequel est revenu de lau-delà sous forme démoniaque pour contrecarrer ce projet. Le père dévasté mais déterminé et la fillette quil a ralliée à sa cause sont secondés par un chien mystérieux et une sorcière bienveillante moderne basée sur une véritable pratiquante que le réalisateur a tenu à rencontrer. Le charme de ce film assez inspiré sapparente assez à celui des films dépouvante des années 1980 à petit budget, et comporte un certain nombre de scènes effrayantes assez marquantes, comme lors dune sortie scolaire la mort devant ses élèves de linstitutrice qui voulait protéger lenfant de la chute d'une branche et lapparition dune créature sombre et assez informe, une manifestation du Mal qui élimine un adversaire du personnage diabolique qui prétendait néanmoins à la tête du tribunal agir au nom du Bien, en instrumentalisant de manière perverse la religion. Ce film modeste évoque ainsi de manière assez originale la tragédie historique du Procès des Sorcières de Salem, révélant au travers du Fantastique le caractère pernicieux de la superstition et du fanatisme ainsi que la plaie toujours actuelle de la délation.
On pourrait certes émettre quelque doute quant à la perspective que luvre de Bert I. Gordon passe véritablement à la postérité, celle-là étant déjà en partie oubliée du grand public et considérée avec condescendance par les cinéphiles les plus élitistes. Néanmoins, en dépit de leur faible budget, ses films demeurent très regardables, collant au style de leur époque, témoignant dun véritable savoir-faire, et remplissent sans faillir leur mission de divertissement que leur avait assignée leur modeste auteur, au-delà de la projection éphémère pour les spectateurs des drive-in. Le méconnu Tormented mériterait dêtre considéré comme un vrai film dauteur, ou à tout le moins comme un classique de lépouvante. Bert I Gordon apparaît comme un artisan estimable dont la passion pour raconter des histoires sur grand écran sest maintenue au fil des décennies, digne de figurer dans lHistoire du cinéma même si ce nest probablement pas au premier plan, en compagnie dautres producteurs et réalisateurs de films à budget modique comme William Castle et Roger Corman qui ont enrichit loffre du cinéma de limaginaire de la seconde moitié du XXème siècle. À la triste occasion de sa disparition, il ne semblait pas illégitime, notamment à lintention des lecteurs francophones qui ne connaissent pas nécessairement son nom, de lhonorer en ces pages pour en rappeler le souvenir.
Jean-François Berreville Retrouvez plus d'hommages et de références sur le blog de Jean-François Berreville creatures-imagination.blogspot.com |
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