LA GAZETTE DU CLUB DES MONSTRES |
NUMÉRO 54
par Jean-François Berreville
LE DERNIER DINO S'EST ÉTEINT
Pour une fois, la
télévision a fait écho, sommairement il est
vrai, à la disparition d'une personnalité qui concerne
notre domaine, celle du producteur Dino, né Agostino, de
LAURENTIIS, survenue à Los Angeles le 11 novembre 2010 à
l'âge de 91 ans. Les producteurs ne suscitent
généralement pas le même engouement auprès
des cinéphiles que les metteurs en scène, les acteurs
et les créateurs d'effets spéciaux, car leur
investissement personnel n'apparaît pas directement à
l'écran au même titre qu'une prestation artistique. On a
cependant rappelé ici, lors de la disparition de Charles
SCHNEER, à quel point l'implication de ce producteur
avait été déterminante pour permettre à
Ray HARRYHAUSEN de concrétiser ses merveilleux projets. On a
aussi évoqué le rôle de Stuart COHEN dans la mise
en route de THE THING, à la fois pour initier cette nouvelle
adaptation cinématographique de la nouvelle WHO GOES THERE?,
et pour finir par imposer John CARPENTER comme metteur en
scène, aboutissant au chef d'uvre à présent
reconnu. De la même manière, Dino de LAURENTIIS a pu
par sa détermination mener à bien différents
projets qui ont compté dans l'histoire du cinéma.
Ulysse et ses hommes dans l'antre du monstre. Polyphème, l'un des plus anciens êtres de fiction, porté à l'écran dans ULYSSE. Une différence d'échelle d'avec les protagonistes humains qui évoque celle au cur de KING KONG.
Dans les
années 1970, les difficultés du cinéma italien
conduisent Dino de LAURENTIIS à vendre ses studios - il seront
un temps repris dans les années 1980 par le petit producteur
américain Charles BAND - et à s'établir sur la
côte est des États-Unis, où il connaît un
de ses premiers succès américains avec UN JUSTICIER
DANS LA VILLE en 1972, qui impose la figure du personnage de Paul
Kersey ( interprété par Charles BRONSON ), parti en
croisade contre le crime après le drame qui a frappé sa famille.
Dino de LAURENTIIS posant devant son monstre.Jessica Lange. Cette production emblématique de Carlo RAMBALDI est loin d'être aussi mauvaise que nombre de critiques l'affirment, mais s'inscrit en réalité dans une tradition s'écartant sensiblement de celle de l'original. L'île n'est plus un monde fabuleux peuplé de Dinosaures, mais juste une île isolée sur laquelle vit une espèce géante, Kong étant d'ailleurs présenté moins comme un monstre brutal et maudit dans la tradition du cinéma expressionniste, que comme un Gorille auquel sa taille confère un caractère exceptionnel; cette conception plus naturaliste est confortée par la présence du personnage de Jack Prescott ( interprété par Jeff BRIDGES ), spécialiste des grands singes qui livre son analyse du comportement de l'animal avec la légitimité que lui confère son expérience. Ce "désenchantement du monde", cette vision réaliste et utilitariste en rupture avec l'emphase du pur fantastique, se traduit aussi par les motivations des personnages. Dans le KING KONG d'Ernest SCHOEDSACK et Merian COOPER de 1933, les Occidentaux découvrant Skull Island étaient une équipe de cinéastes cherchant à divertir les spectateurs en leur offrant le spectacle de lexotisme, renvoyant à l'esprit de découverte des explorateurs - les deux réalisateurs étant eux-mêmes réellement des aventuriers ayant parcouru le monde avec leur caméra. Dans le remake de GUILLERMIN, le souci de rentabilité est le ressort essentiel, selon une vision du monde utilitaire et lucrative : c'est la recherche du profit qui décide le représentant d'une compagnie pétrolière à capturer le terrifiant dieu des indigènes - dont la cosmogonie s'écroule ainsi - en vue d'en faire une mascotte publicitaire, à défaut d'avoir pu découvrir le gisement d'hydrocarbures attendu, situation exacerbant le contraste entre le milieu sauvage et un environnement humain très technique (en l'occurrence le super-pétrolier), au sein duquel les individus sont principalement définis par leur fonction ( le dirigeant de la compagnie pétrolière, le géologue, le commandant du navire, le chef déquipage), qui augure de la matrice de bien des films ultérieurs, comme ALIEN et LEVIATHAN - l'ouvrier noir qui estime être trop peu payé pour risquer sa vie pour une "petite blanche à moitié dingue", bien loin de la solidarité spontanée et chevaleresque des hommes du premier film autour de l'actrice enlevée, annonce les récriminations quant à leur salaire des deux techniciens du film de Ridley SCOTT, rechignant à leur mission d'exploration imprévue. L'ironie de cette vision satirique, qui se sert de l'intrigue pour faire réfléchir, comme nombre de films des années 1970, sur la destruction des milieux naturels et ses conséquences ( Prescott parie ainsi que, privés de l'incarnation de la nature sauvage et menaçante que représentait Kong, les insulaires, qui vont s'ouvrir à la civilisation, seront tous devenus alcooliques dans dix ans ) est que le pétrolier géant qui a été loué par la production pour le tournage de quelques séquences a pratiqué un dégazage clandestin en haute mer pour s'épargner la perte de temps d'un retour au port... Remarquons encore que la touche de comédie réminiscente présente au travers des paroles qu'adresse Dawn ( Jessica LANGE ) à Kong en tentant de l'amadouer, lesquelles paraissent futiles, comme lorsqu'elle s'enquiert du signe zodiacal de la créature géante, renvoie au milieu artificiel dans lequel baigne le mannequin; face au danger, la jeune femme tente spontanément de tromper sa frayeur en se raccrochant à ses propres repères, tels que les horoscopes de la presse liée à l'émancipation féminine et féministe des années 1970. Il faut encore noter au crédit du film la qualité et la force de la partition musicale de John BARRY, qui souligne mélodieusement les moments forts, à l'exception du dénouement, lequel n'oppose à la dureté des dernières scènes qu'un silence glacial, dépouillement laissant le spectateur seul face à l'émotion brute ( on a déjà consacré quelques lignes à cette composition à l'occasion de l'article sur Jerry GOLDSMITH en juillet 2009 ). A l'opposé du KING KONG de 1933 qui a porté le monstre anthropoïde à la hauteur d'un archétype fantasmatique quasi-onirique, le remake de 1976 a humanisé le Gorille géant; Dino de LAURENTIIS a réussi son pari consistant à rendre très émouvante la mort du personnage littéralement tombé de son piédestal au bas des deux tours jumelles après avoir été capturé dans son île et être devenu malgré lui la vedette de New-York.
Un acteur qui maîtrise parfaitement la communication non verbale... Certains ont déploré que la plupart du temps, Kong n'était "qu'un homme dans un costume" - c'est toujours plus qu'un singe numérique... La révolte de Jack Prescott devant lexécution programmée de la Bête. Le succès commercial du remake incite de LAURENTIIS à produire d'autres films mettant en scène des animaux gigantesques. LE BISON BLANC, bien avant l'Australien RAZORBACK, transpose l'histoire de MOBY DICK sur la terre ferme, en confrontant un énorme bison albinos à deux chasseurs, un blanc ( Charles BRONSON ) et un Amérindien ( Will SAMPSON, vu dans VOL AU-DESSUS D'UN NID DE COUCOU ). RAMBALDI construit le modèle de l'irascible animal. Le sujet d'ORCA, dirigé par Michael ANDERSON qui avait réalisé L'AGE DE CRISTAL l'année précédente, avait été suggéré à Dino de LAURENTIIS par le succès commercial des DENTS DE LA MER. Le film se montre finalement assez original, en inversant en quelque sorte le sujet de MOBY DICK; cette fois, c'est le Cétacé qui poursuit de sa vindicte un chasseur, lequel a tué sa femelle en gestation en tentant de la capturer pour un parc d'attraction marin. Le chasseur joué par Richard HARRIS reconnaît ses torts et accepte finalement le défi de l'animal qui, à l'instar de la Créature du roman FRANKENSTEIN, l'entraîne dans les glaces boréales pour un duel sans merci loin de la civilisation. On y retrouve dans le rôle d'un Inuit Will SAMPSON ( dont l'un des derniers rôles sera en 1986 celui du chaman de POLTERGEIST 2 ). Les effets spéciaux irréprochables ne permettent pas, à la manière des grands singes réalisés par Rick BAKER pour GORILLES DANS LA BRUME, de distinguer le faux Orque épaulard mécanique des animaux dressés. La scène de l'avortement est particulièrement traumatisante - le soin apporté aux trucages peut d'ailleurs aussi être constaté à travers le détail, le ftus d'Orque présentant bien les ébauches de membres postérieurs appelées à disparaître au cours du développement, qui manifestent l'origine terrestre de la lignée des Cétacés ( voir l'article "Darwin et la controverse sur l'évolution" ).
Il surgit dans la nuit au galop... c'est le Bison blanc, apparition spectrale mais non dénuée d'une redoutable puissance.
Heroïc-fantasy
et fantastique
Même dans le monde antique et nitzschéen du Cimmérien, le Serpent est l'incarnation du Mal.
En 1984,
POLEDOURIS apporte de nouveau son concours à la deuxième
aventure du Cimmérien, CONAN LE DESTRUCTEUR, dirigée
avec énergie par Richard FLEISHER, qui avait déjà
tourné BARABBAS pour de LAURENTIIS. Le film se présente
cette fois comme une aventure fantastique assez attrayante. La magie
y est plus omniprésente, notamment au travers du superbe
Château des songes qui se dresse au milieu d'un lac, et de
Dagoth, un être surnaturel et malfaisant qui est appelé
sur Terre par les séides de la reine Shadizar avide de pouvoir
interprétée par Sarah Douglas ( qui a perdu sa candeur
depuis LE CONTINENT OUBLIÉ ), projetant de sacrifier sa propre
nièce vierge ( Olivia d'ABO ) à une monstrueuse
divinité, créée par Carlo RAMBALDI. Le
personnage de Conan shumanise davantage, héros brave et
intègre mais que son amour inconsolable pour sa défunte
bien-aimée rend manipulable par de cyniques bonimenteurs lui
promettant la résurrection de Valéria. Quant à
la partition de POLEDOURIS, elle se montre assez envoûtante,
notamment au terme de l'aventure, à la fois mélancolique
et mystérieuse.
- Dino te remercie pour ta participation, Arnold! - Je cache ma joie, dit l'acteur qui promet qu'on ne l'y reprendra plus. De LAURENTIIS associe son nom à des franchises de films d'épouvante célèbres. AMITYVILLE 2, au lieu d'une suite au film de Stuart ROSENBERG, AMITYVILLE LA MAISON DU DIABLE, s'intéresse au drame initial qui a définitivement ancré la demeure dans la mythologie des lieux maudits, à savoir à la dérive homicide du fils aîné de la famille, massacre que celui-ci a prétendu lors de son procès avoir perpétré sous l'influence de forces occultes diaboliques*. Le film réalisé par Damiano DAMIANI montre d'abord la séduction qu'il s'ingénie à exercer sur sa sur adolescente au point que celle-là est prête à s'offrir à lui, mais cette corruption n'est pour lui qu'une étape de sa marche vers le Mal, le conduisant à décimer les siens, avant qu'un écclesiastique, qui suspecte le pire, n'ait eu le temps d'intervenir. Le film adopte la thèse de l'assassin, la fin présentant celui-là en proie à une horrifiante transformation, ses traits se modifiant pour devenir littéralement ceux d'un démon, créé par le maquilleur John CAGLIONE. Le film baigne dans une ambiance malsaine soigneusement entretenue, jusqu'au basculement final dans le fantastique.
La séduction de la sur dans AMITYVILLE, prélude à un basculement dans l'horreur absolue.
Dans les films fantastiques, la noirceur finit souvent par se concrétiser sous une forme hideuse.
L'abomination se
manifeste à nouveau à l'occasion du final d' AMITYVILLE
3 de Richard FLEISCHER, à la suite d'autres manifestations
inquiétantes qui ont signalé la permanence du Mal dans
la célèbre demeure. Cinéaste accompli,
assisté du célèbre directeur de la photographie
Jack CARDIFF ( voir hommage de mai 2009 ), FLEISCHER permet à
AMITYVILLE 3 de se hisser au-dessus des produits formatés
exécutés dans le sillage d'un succès. La traque
d'un poltergeist, lueur mauve fluorescente, jusqu'à la cave,
lieu où s'ouvre la brèche menant à
l'au-delà, est particulièrement marquante, baignant
dans un climat d'étrangeté surréelle inquiétante.
Une apparition indique aux occupants de la maison un chemin, à ne suivre qu'avec précaution. Bougre d'ectoplasme ! Le film était destiné à être vu en relief.
Dino de LAURENTIIS
a également produit HALLOWEEN 2 de Rick ROSENTHAL,
rééditant en plus explicite les exactions du tueur
masqué de la série, initialement mis en scène
par John CARPENTER, ainsi qu'HALLOWEEN 3, premier film de Tommy Lee
WALLACE, collaborateur habituel de CARPENTER et scénariste
d'AMITYVILLE 2. Initialement basé sur un scénario de
Nigel KNEALE, réécrit par le metteur en scène de
manière à rendre l'horreur plus visuelle, le film
tourne autour d'un fabricant de jouets, Cochran, qui s'avère
être un sorcier résolu à rendre à
Halloween ( originellement Samhain ) devenu un évènement
commercial toute son épouvante métaphysique, ses
masques étant pourvus d'un petit émetteur relié
à un cristal prélevé sur le site magique de
Stonehenge, devant déclencher une horreur effroyable sur ceux
qui les porteront le soir fatidique. La représentation
allégorique du mal au travers du tueur inhumain des deux films
précédents devient dans HALLOWEEN 3 métaphorique:
le visage d'un enfant porteur d'un des masques, utilisé comme
cobaye par Cochran, explose pour révéler une myriade de
serpents et d'araignées; John CARPENTER, qui a supervisé
le film de Tommy Lee WALLACE, utilisera en 1988 de manière
similaire pour PRINCE DES TÉNÈBRES l'image de
grouillements de lombrics sur les vitres et de transformation d'un
personnage en nuées de cafards pour illustrer la corruption
satanique qui investit une vieille église. Le héros
alcoolique joué par Tom ATKINS ( qui réitère son
rôle dans LA NUIT DES EXTRA-SANGSUES ) tente de s'opposer
à la manigance de Cochran, interprété avec une
froideur glaçante par l'Irlandais Daniel O'HERLIHY - figure de
la série de films ROBOCOP - qui lance à sa poursuite
des automates meurtriers, depuis son usine de Santa Mira (
localité qui évoquera certainement quelque chose aux
lecteurs ayant lu l'article précédent ). Dino de
LAURENTIIS a eu l'intelligence de permettre aux créateurs
d'HALLOWEEN 3 de porter à son terme un projet s'écartant
considérablement du modèle de la série,
aboutissant à un film assez original baignant dans une musique
envoûtante composée par John CARPENTER, qui augure en
partie de celle qu'il composera peu après pour CHRISTINE.
"Laissez venir à moi les petits enfants..." Cochran, un personnage redoutable, combinant la magie la plus effroyable avec la technologie de pointe et les techniques du marketing.
Les succès
commerciaux des romans de Stephen KING ont incité le
producteur à entamer une série d'adaptations de ses
uvres. CHARLIE ( FIRESTARTER ) de Mark LESTER met en
scène une petite fille ( Drew BARRYMORE ) capable de
déclencher des incendies à volonté, dont le
pouvoir, comme dans FURIE, suscite la convoitise d'une
inquiétante organisation. CAT'S EYE est composé de
trois sketchs; les deux premiers mettent en scène des
personnages très cyniques, le troisième un troll
maléfique créé par Carlo RAMBALDI menaçant
une petite fille ( interprétée par Drew BARRYMORE ),
épisode qui a nécessité la construction de
décors surdimensionnés de sa chambre pour créer
l'illusion de sa petite taille. Stephen KING a lui-même
réalisé MAXIMUM OVERDRIVE, qui dépeint le
siège d'habitants cernés par des objets soudain
animés d'impulsions meurtrières; l'écrivain, qui
se montrait très critique à l'endroit des adaptations
précédentes, s'est déclaré peu satisfait
du résultat et n'a plus par la suite tenté de revenir
à la mise en scène. Stephen KING a conçu un
scénario original pour PEUR BLEUE ( SILVER BULLET) de Daniel
ATTIAS, qui dépeint la recherche, dans une atmosphère
assez oppressante, de l'identité humaine d'un loup-garou qui a
commis plusieurs meurtres; c'est toujours Carlo RAMBALDI qui s'est
chargé des effets spéciaux, mais le producteur les a
quant à lui estimés décevants.
Le héros des DÉMONS DU PASSÉ, interprété par Tim MATHESON, confronté à un passé qui ne passe pas. Un des revenants apparaît sous une forme qui traduit sa vraie nature diabolique. Le film relatif à Stephen KING qui, parmi les productions de LAURENTIIS, a été le plus favorablement accueilli est THE DEAD ZONE réalisé en 1983 par David CRONENBERG, qui avait déjà abordé le thème des pouvoirs paranormaux en 1980 avec SCANNERS, un affrontement entre télépathes uvrant pour des organisations rivales. Christopher WALKEN ( vu dans BRAINSTORM ) y joue le rôle de Johnny Smith, un accidenté de la route plongé dans un long coma qui, à son réveil, réalise qu'il est doté de la capacité de voir l'avenir sous forme de flashs incontrôlables qui envahissent soudain son esprit et épuisent ses forces vives ( dans le roman, c'est l'addition de deux traumatismes qui cause la survenue de son pouvoir ). Devenu malgré lui une vedette après avoir permis le sauvetage d'une petite fille prise dans un incendie, Johnny vit en reclus pour éviter les innombrables sollicitations, et se sent d'autant plus solitaire que son ancienne petite amie s'est mariée durant son long séjour à l'hôpital. C'est avec réticence qu'il aide la police à résoudre une série de crimes sadiques, s'efforce de préserver la vie d'un enfant dont le père veut l'envoyer patiner sur un lac gelé qui va s'effondrer et, finalement, décide d'abattre un politicien, Greg Stillson, dont la mégalomanie causerait la troisième guerre mondiale une fois installé à la Maison blanche; il n'échouera qu'en apparence, son acte ayant permis de mettre à jour la véritable nature du personnage. THE DEAD ZONE émeut par sa simplicité sans fioriture, histoire touchante d'un homme ordinaire dont le destin lui échappe et qui se trouve contraint de remplir une mission qui le dépasse. Le style de CRONENBERG se fait tout en retenue, à l'image du médecin juif de Johnny Smith - incarné par Herbert LOM, qui avait notamment interprété le Capitaine Nemo dans L'ILE MYSTERIEUSE version Ray HARRYHAUSEN - qui, apprenant trop tardivement que sa mère a survécu à la seconde guerre mondiale, renonce finalement à lui révéler la vérité. Les acteurs donnent une vraie intensité à leur personnage, notamment WALKEN dans le rôle du visionnaire tourmenté, Anthony ZERBE ( mémorable dans l'épisode LA NUIT DU COMPLOT des MYSTÈRES DE L'OUEST ) en père intransigeant du petit garçon, ne réalisant que trop tard sa vanité, et Martin SHEEN, vu notamment dans NIMITZ, RETOUR VERS L'ENFER, en politicien charismatique, faussement chaleureux et dépourvu de tout scrupule.
Le tunnel hautement symbolique vu dans DEAD ZONE ( repris sur l'affiche du film ), auquel les éclats de lumière confèrent l'apparence d'une toile d'araignée; mène-t-il à la vérité ou à la mort?
Un certain découragement
Dino de LAURENTIIS était un des derniers producteurs à l'ancienne, un géant du cinéma que les critiques n'ont pas toujours ménagé.
Beaucoup de
critiques trouvent très fade sa nouvelle version du BOUNTY, en
dépit de la composition musicale marquante de VANGELIS. Ce
film historique ne manque cependant pas d'intérêt,
s'écartant de la vision traditionnelle, sans doute
schématique. CHRISTIAN et le capitaine BLIGH y sont
présentés initialement comme des amis, et ce dernier
n'est plus la brute sadique incarnée par Charles LAUGHTON dans
la première version, ni un supérieur odieux et inhumain
tel que représenté par Trevor HOWARD dans la suivante,
mais simplement un Britannique un peu guindé cependant capable
d'inspirer partiellement la sympathie, au travers d'Anthony HOPKINS
qui lui prête vie. L'épilogue rompt quelque peu cette
vision plus nuancée du drame; il suggère bien la
déréliction qui va frapper les mutins confrontés
aux conséquences de leurs actes, mais, à l'inverse de
la version précédente dans laquelle l'amirauté,
tout en confortant l'autorité hiérarchique,
blâmait l'officier pour son intransigeance et son
inhumanité en lui faisant valoir que celles-la n'étaient
pas pour rien dans la révolte de ses hommes, il délivre
sans ambiguïté un satisfecit au Capitaine BLIGH pour
avoir ramené en vie la majeure partie des bannis du Bounty qui
partageaient sa chaloupe, en omettant les torts dont il a pu faire
montre antérieurement à la mutinerie et qui ont
suscité celle-ci; l'acteur jouant CHRISTIAN, Mel GIBSON,
trouve même pour sa part que le film aurait dû prendre
davantage partie pour l'officier renversé.
Dino et sa fille Rafaëlla, associés sur la production de DUNE. L'hostilité quasi générale à l'encontre du film, accusé de trahir le roman, paraît très excessive, car si le synopsis condense l'intrigue, notamment la fuite dans le désert de Paul Atreides ( Kyle McLachlan ), suite à la tentative de massacre de la famille princière commanditée par le Baron Harkonnen, celui-ci est pour l'essentiel fidèle au roman, avec de surcroît l'apparition, dès le prologue, des Navigateurs de la Guilde, qui intervenaient dans la suite du livre, mais qui s'avèrent avoir un rôle essentiel dans les sphères de pouvoir initiateurs de la conspiration. Le film relate comment, vers l'an 10 000, Paul devient un véritable messie sur la planète des sables Arrakis après avoir échappé à la mort et renverse, avec l'aide d'une armée d'insoumis appelés les Fremen, l'Empereur de la galaxie et son allié Harkonnen, dont les intrigues visent à préserver l'approvisionnement en Épice, une substance engendrant des pouvoirs surnaturels qui est produite par les vers géants indigènes. David LYNCH lui-même estimera que sa créativité a été étouffée par la superproduction. Cependant, en dépit de son caractère mystique et grandiloquent - bien que Kyle McLachlan ait moins de charisme que Jürgen PROCHNOW qui interprète son père, le réalisateur a pu inclure dans DUNE les éléments thématiques réminiscents de ses deux premiers films, ERASERHEAD et THE ELEPHANT MAN. Au sexe présenté de manière dégradante dans ERASERHEAD ( la versatilité de la voisine d'Henry et le rire concupiscent et vulgaire de son partenaire d'un soir ) et THE ELEPHANT MAN ( le baiser forcé entre l' "Homme-Éléphant" et les prostituées au milieu des ricanements narquois ) qui combine sensualité détournée, désir d'avilir et violence, correspond dans DUNE le vampirisme abject du baron Harkonnen ( Kenneth McMILLAN, qui interprète le chef de gare dans RUNAWAY TRAIN ) sur de jeunes éphèbes sacrifiés qui a tout du viol. Le thème de la répulsion suscitée par la réalité organique du corps ( poulet rôti baveux parcouru de spasmes, ftus immature, fragments interminables de cordon ombilical qui se changent en vers dans ERASERHEAD, difformités semblant le sceau injuste du destin dans THE ELEPHANT MAN ) est présent dans DUNE au travers des verrues dégoulinantes de pus du baron Harkonnen et des mutants inquiétants à l'aspect d'embryons démesurés créés par Carlo RAMBALDI ( les Navigateurs de la Guilde aux allures de limaces, transformés par L'Épice ), autant de représentations dérangeantes de la corporalité, perçue dans son altérité au travers de ses altérations dans une perspective suggérant un rapprochement avec les obsessions cronenbergiennes. Cette vision du corps envisagé dans sa matérialité la plus brute fait écho à un environnement presque organique lui aussi, suintant, empli de jets de vapeur, de canalisations intestinales moites, de bruits sourds de machineries, qui évoquent les soubresauts de la digestion effectuée par un gigantesque organisme, éléments omniprésents dans ERASERHEAD, évocateurs de la révolution industrielle dans THE ELEPHANT MAN, ou encore constituants technologiques du futur baroque de DUNE. La médiocre réception du film n'empêchera pas de LAURENTIIS de produire l'uvre suivante de David LYNCH, BLUE VELVET, description, sans doute quelque peu surestimée, de la perversion ordinaire.
Encore un animal géant dû à l'initiative de Dino de LAURENTIIS, cette fois extraterrestre, un Ver géant de DUNE, malheureusement vu plus fugacement dans le film.
Dino de LAURENTIIS
a aussi mis en chantier TOTAL RECALL, adaptation d'une nouvelle de
Philip K. DICK sur le trouble de la personnalité d'un agent
double, dont les scénaristes Dan O'BANNON et Ronald SHUSETT
ont tiré un scénario échevelé. David
CRONENBERG, à la suite de THE DEAD ZONE, devait en assurer la
réalisation, mais celui-ci n'apprécia pas la direction
que le traitement donnait à l'histoire et la
réécrit à sa manière. Dino de LAURENTIIS
soutint SHUSETT, qui estimait, paradoxalement, la version de
CRONENBERG trop fidèle à la vision de l'écrivain,
et le réalisateur décida alors de quitter le projet.
Le producteur finira à son tour par déclarer forfait,
découragé par l'échec commercial de DUNE, et
seule la persévérance de l'acteur SCHWARZENEGGER
désireux d'obtenir le rôle permet finalement au film de
voir le jour avec de nouveaux producteurs, Carolco,
spécialistes de films d'action. TOTAL RECALL, sous la
direction de Paul VERHOEVEN, est une aventure trépidante qui
entraîne le héros dans les tréfonds de Mars
fraîchement colonisé, mais il est vrai que l'action
préémine souvent sur l'atmosphère psychologique
que CRONENBERG souhaitait pour sa part développer en confiant
le rôle principal à William HURT, un acteur au jeu plus introspectif.
On n'impose pas
durablement la discipline à King Kong, même
convalescent... Un décor combinant le médical et
l'industriel, dont on retrouvera l'esthétique peu après
dans LA MOUCHE 2, la suite du film de CRONENBERG, qui fait
découvrir le complexe de Bartok industries, juste
évoqué dans le volet initial. La femelle ne goûte
pas davantage la captivité. Les (très) grands singes
ont droit au respect...
Les grands acteurs font souvent un rappel avant de sortir de scène; King Kong nous rejoue pour le plaisir la scène de sa mort.
Les aléas
du succès mènent en 1988 à la faillite le
Laurentiis Entertainment Group. Le producteur crée une
nouvelle compagnie en 1990, Dino de Laurentiis Company, mais celle-ci
se fera relativement discrète. En matière de
fantastique, elle se limitera à EVIL DEAD 3 de Sam RAIMI, qui
confronte l'acteur Bruce CAMPBELL à une armée de morts-vivants
dans un style grand-guignolesque. De LAURENTIIS produira un film
avec Sylvester STALLONE, ASSASSINS, et des adaptations du romancier
Thomas HARRIS, avec LE SIXIEME SENS, puis les films
réalisés à la suite du SILENCE DES AGNEAUX,
autour de la figure d'un assassin sadique et d'une certaine
fascination pour l'atroce.
Traîtreusement embusquée sous un tapis de feuilles mortes, cette créature gloutonne attend l'imprudent dans le film FLASH GORDON ( 1980 ). Cette difficulté a cataloguer dans un registre précis ce producteur se fiant à ses propres goûts, et sa propension à monter des productions démesurées, lui ont valu une image contrastée, voire même souvent dépréciative, d'un pourvoyeur de films dispendieux et artistiquement discutables. Pourtant, il a, par sa détermination, donné corps à bien des uvres dont beaucoup sont estimables, et il s'est vu finalement attribuer en 2001 le prix Irvin Thalberg, qui récompense les producteurs éminents et qui atteste qu'il aura laissé sa marque dans le 7 ème art.
Le blog de Jean-François Berreville ou l'on retrouve le texte original et des documents différents:creatures-imagination.blogspot.com Jean-François Berreville |
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