LA GAZETTE DU CLUB DES MONSTRES

NUMÉRO 54

par Jean-François Berreville

LE DERNIER DINO S'EST ÉTEINT

Pour une fois, la télévision a fait écho, sommairement il est vrai, à la disparition d'une personnalité qui concerne notre domaine, celle du producteur Dino, né Agostino, de LAURENTIIS, survenue à Los Angeles le 11 novembre 2010 à l'âge de 91 ans. Les producteurs ne suscitent généralement pas le même engouement auprès des cinéphiles que les metteurs en scène, les acteurs et les créateurs d'effets spéciaux, car leur investissement personnel n'apparaît pas directement à l'écran au même titre qu'une prestation artistique. On a cependant rappelé ici, lors de la disparition de Charles SCHNEER, à quel point l'implication de ce producteur avait été déterminante pour permettre à Ray HARRYHAUSEN de concrétiser ses merveilleux projets. On a aussi évoqué le rôle de Stuart COHEN dans la mise en route de THE THING, à la fois pour initier cette nouvelle adaptation cinématographique de la nouvelle WHO GOES THERE?, et pour finir par imposer John CARPENTER comme metteur en scène, aboutissant au chef d'œuvre à présent reconnu. De la même manière, Dino de LAURENTIIS a pu par sa détermination mener à bien différents projets qui ont compté dans l'histoire du cinéma.


Comme pour l'acteur Kevin McCARTHY auquel on a rendu hommage dans l'article précédent de CRÉATURES ET IMAGINATION, il n'est pas dans notre objet de rendre compte de manière exhaustive d'une carrière florissante, mais de s'attarder davantage sur les contributions au domaine qui nous intéresse plus particulièrement, se rapportant aux créatures fantastiques, voire plus largement à l'imaginaire, lesquelles sont traditionnellement plutôt moins mises en valeur.


Des débuts glorieux


Il n'est pas rare d'entendre qualifier ironiquement les Italiens expatriés de "spaghettis", par référence à leur célèbre cuisine ( et ce jusqu'à un genre de cinéma, le "western-spaghetti", émanant de cinéastes comme Sergio LEONE ). Dans le cas de Dino de LAURENTIIS, l'assimilation ne serait pas totalement incongrue, dans la mesure où, justement, son père était producteur de cet ingrédient typique. Comme son compatriote "Cubby" BROCCOLI, autre italien installé aux USA, dont un parent a donné son nom au légume, et qui est devenu producteur des adaptations des JAMES BOND, Dino de LAURENTIS a préféré s'investir dans le cinéma que poursuivre la tradition familiale dans l'alimentaire. Cessant rapidement de vendre des pâtes, c'est d'abord essentiellement en temps qu'acteur que ce petit homme à l'accent prononcé, qu'il gardera toute sa vie, né le 8 août 1919 à Torre Annunziata, envisage son avenir, tournant dans plusieurs productions nationales de 1938 à 1941. Après des études de cinéma, il s'oriente cependant vers la production.


Il devient au cours des années 1950 une figure incontournable du cinéma italien, notamment dans la veine du "néo-réalisme", produisant les œuvres de Vittorio de SICA, dont il avait été l'admirateur, et de Frederico FELLINI, dont LA STRADA est particulièrement acclamée. Son prénom ("dino"signifie "terrible" en grec) le prédestine à la démesure, et de LAURENTIIS se montrera à la hauteur de cette espérance. En 1954, il produit, avec son associé Carlo PONTI, ULYSSE de Mario CAMERINI, dans lequel Kirk DOUGLAS interprète le héros grec confronté à ses épreuves homériques, en compagnie de Silvana MANGANO - qui a épousé le producteur après avoir tourné pour lui dans RIZ AMER - et Anthony QUINN. La séquence attendue de la confrontation avec le Cyclope géant, interprété par un acteur grimé, tient ses promesses grâce à un montage adroit laissant croire à sa présence conjointe avec l'équipage du héros. En 1956, le producteur se sépare de Carlo PONTI pour fonder sa propre compagnie, Dino de Laurentiis cinematographica, puis, en 1962, fait construire près de Rome de grands studios, "Dinocitta", où se tourneront des fresques internationales comme WATERLOO de Serguei BONDARTCHOUK, LA BIBLE de John HUSTON, et BARABBAS de Richard FLEISCHER, film célèbre qui imagine la destinée du voleur gracié au détriment du Christ, et dont Anthony QUINN exprime la conversion supposée d'un personnage initialement peu recommandable.

Ulysse et ses hommes dans l'antre du monstre. Polyphème, l'un des plus anciens êtres de fiction, porté à l'écran dans ULYSSE. Une différence d'échelle d'avec les protagonistes humains qui évoque celle au cœur de KING KONG.

Dans les années 1970, les difficultés du cinéma italien conduisent Dino de LAURENTIIS à vendre ses studios - il seront un temps repris dans les années 1980 par le petit producteur américain Charles BAND - et à s'établir sur la côte est des États-Unis, où il connaît un de ses premiers succès américains avec UN JUSTICIER DANS LA VILLE en 1972, qui impose la figure du personnage de Paul Kersey ( interprété par Charles BRONSON ), parti en croisade contre le crime après le drame qui a frappé sa famille.


Un succès contesté


Le film auquel le nom de de LAURENTIIS demeure sans doute le plus attaché est probablement le remake de KING KONG. Porté par l'engouement pour le spectaculaire des années 1970 au travers des films catastrophes ( le réalisateur John GUILLERMIN a à son actif LA TOUR INFERNALE ), les studios Universal et Paramount se saisissent du projet. Le second, qui sera autorisé à réaliser le remake après une action en justice, requiert le concours du producteur italien qui accepte le défi et souhaite lui donner une tonalité de comédie. Il fait appel pour les effets spéciaux à Carlo RAMBALDI, qui lui avait apporté précédemment sa collaboration en créant un lion factice pour LA BIBLE et quelques trucages pour BARBARELLA, et lui demande de travailler en partenariat avec le maquilleur américain Rick BAKER, passionné par les Gorilles, qui avait déjà conçu le costume de l'anthropoïde de SCHLOCK de John LANDIS, l'Italien se concentrant plus particulièrement sur la partie mécanique du costume. Le producteur donne aussi à Carlo RAMBALDI son aval pour la construction d'une version mécanique grandeur nature du monstre en collaboration avec l'équipe du vétéran Glen ROBINSON, mais celle-ci, que beaucoup suspectent d'avoir été principalement conçue à des fins publicitaires, se révèle peu maniable et n'est principalement utilisée que pour quelques plans du film lors de la présentation de la Bête à la foule de New-York - Carlo RAMBALDI estimera avoir pâti du manque de temps pour perfectionner sa création. Les partisans de l'animation image par image, au rang desquels Ray HARRYHAUSEN, ne pardonnent pas à de LAURENTIIS d'avoir usé d'une autre technique que celle employée pour l'original - ceux-ci se montreront pourtant plus compréhensifs devant le King Kong purement virtuel du second remake de Peter JACKSON - et à l'époque l'animateur Jim DANFORTH démissionne même de l'Académie des Oscars pour protester contre celui qui est décerné aux effets spéciaux du film, qui laisse accroire que la gigantesque mécanique de RAMBALDI aurait à son actif l'ensemble des apparitions du monstre. Le tournage ne se fit pas sans difficultés, notamment en raison des problèmes de compréhension entre les équipes parlant deux langues différentes, ainsi que des intempéries ayant compliqué le tournage à Hawaï, et le public parvint même à dérober un des gigantesques doigts, une dent et un œil du monstre entre deux prises alors qu'il gisait au sein de la foule, au pied du World Trade center.

Dino de LAURENTIIS posant devant son monstre.Jessica Lange.

Cette production emblématique de Carlo RAMBALDI est loin d'être aussi mauvaise que nombre de critiques l'affirment, mais s'inscrit en réalité dans une tradition s'écartant sensiblement de celle de l'original. L'île n'est plus un monde fabuleux peuplé de Dinosaures, mais juste une île isolée sur laquelle vit une espèce géante, Kong étant d'ailleurs présenté moins comme un monstre brutal et maudit dans la tradition du cinéma expressionniste, que comme un Gorille auquel sa taille confère un caractère exceptionnel; cette conception plus naturaliste est confortée par la présence du personnage de Jack Prescott ( interprété par Jeff BRIDGES ), spécialiste des grands singes qui livre son analyse du comportement de l'animal avec la légitimité que lui confère son expérience. Ce "désenchantement du monde", cette vision réaliste et utilitariste en rupture avec l'emphase du pur fantastique, se traduit aussi par les motivations des personnages. Dans le KING KONG d'Ernest SCHOEDSACK et Merian COOPER de 1933, les Occidentaux découvrant Skull Island étaient une équipe de cinéastes cherchant à divertir les spectateurs en leur offrant le spectacle de l’exotisme, renvoyant à l'esprit de découverte des explorateurs - les deux réalisateurs étant eux-mêmes réellement des aventuriers ayant parcouru le monde avec leur caméra. Dans le remake de GUILLERMIN, le souci de rentabilité est le ressort essentiel, selon une vision du monde utilitaire et lucrative : c'est la recherche du profit qui décide le représentant d'une compagnie pétrolière à capturer le terrifiant dieu des indigènes - dont la cosmogonie s'écroule ainsi - en vue d'en faire une mascotte publicitaire, à défaut d'avoir pu découvrir le gisement d'hydrocarbures attendu, situation exacerbant le contraste entre le milieu sauvage et un environnement humain très technique (en l'occurrence le super-pétrolier), au sein duquel les individus sont principalement définis par leur fonction ( le dirigeant de la compagnie pétrolière, le géologue, le commandant du navire, le chef d’équipage), qui augure de la matrice de bien des films ultérieurs, comme ALIEN et LEVIATHAN - l'ouvrier noir qui estime être trop peu payé pour risquer sa vie pour une "petite blanche à moitié dingue", bien loin de la solidarité spontanée et chevaleresque des hommes du premier film autour de l'actrice enlevée, annonce les récriminations quant à leur salaire des deux techniciens du film de Ridley SCOTT, rechignant à leur mission d'exploration imprévue. L'ironie de cette vision satirique, qui se sert de l'intrigue pour faire réfléchir, comme nombre de films des années 1970, sur la destruction des milieux naturels et ses conséquences ( Prescott parie ainsi que, privés de l'incarnation de la nature sauvage et menaçante que représentait Kong, les insulaires, qui vont s'ouvrir à la civilisation, seront tous devenus alcooliques dans dix ans ) est que le pétrolier géant qui a été loué par la production pour le tournage de quelques séquences a pratiqué un dégazage clandestin en haute mer pour s'épargner la perte de temps d'un retour au port... Remarquons encore que la touche de comédie réminiscente présente au travers des paroles qu'adresse Dawn ( Jessica LANGE ) à Kong en tentant de l'amadouer, lesquelles paraissent futiles, comme lorsqu'elle s'enquiert du signe zodiacal de la créature géante, renvoie au milieu artificiel dans lequel baigne le mannequin; face au danger, la jeune femme tente spontanément de tromper sa frayeur en se raccrochant à ses propres repères, tels que les horoscopes de la presse liée à l'émancipation féminine et féministe des années 1970. Il faut encore noter au crédit du film la qualité et la force de la partition musicale de John BARRY, qui souligne mélodieusement les moments forts, à l'exception du dénouement, lequel n'oppose à la dureté des dernières scènes qu'un silence glacial, dépouillement laissant le spectateur seul face à l'émotion brute ( on a déjà consacré quelques lignes à cette composition à l'occasion de l'article sur Jerry GOLDSMITH en juillet 2009 ). A l'opposé du KING KONG de 1933 qui a porté le monstre anthropoïde à la hauteur d'un archétype fantasmatique quasi-onirique, le remake de 1976 a humanisé le Gorille géant; Dino de LAURENTIIS a réussi son pari consistant à rendre très émouvante la mort du personnage littéralement tombé de son piédestal au bas des deux tours jumelles après avoir été capturé dans son île et être devenu malgré lui la vedette de New-York.

Un acteur qui maîtrise parfaitement la communication non verbale... Certains ont déploré que la plupart du temps, Kong n'était "qu'un homme dans un costume" - c'est toujours plus qu'un singe numérique... La révolte de Jack Prescott devant l’exécution programmée de la Bête.

Le succès commercial du remake incite de LAURENTIIS à produire d'autres films mettant en scène des animaux gigantesques. LE BISON BLANC, bien avant l'Australien RAZORBACK, transpose l'histoire de MOBY DICK sur la terre ferme, en confrontant un énorme bison albinos à deux chasseurs, un blanc ( Charles BRONSON ) et un Amérindien ( Will SAMPSON, vu dans VOL AU-DESSUS D'UN NID DE COUCOU ). RAMBALDI construit le modèle de l'irascible animal. Le sujet d'ORCA, dirigé par Michael ANDERSON qui avait réalisé L'AGE DE CRISTAL l'année précédente, avait été suggéré à Dino de LAURENTIIS par le succès commercial des DENTS DE LA MER. Le film se montre finalement assez original, en inversant en quelque sorte le sujet de MOBY DICK; cette fois, c'est le Cétacé qui poursuit de sa vindicte un chasseur, lequel a tué sa femelle en gestation en tentant de la capturer pour un parc d'attraction marin. Le chasseur joué par Richard HARRIS reconnaît ses torts et accepte finalement le défi de l'animal qui, à l'instar de la Créature du roman FRANKENSTEIN, l'entraîne dans les glaces boréales pour un duel sans merci loin de la civilisation. On y retrouve dans le rôle d'un Inuit Will SAMPSON ( dont l'un des derniers rôles sera en 1986 celui du chaman de POLTERGEIST 2 ). Les effets spéciaux irréprochables ne permettent pas, à la manière des grands singes réalisés par Rick BAKER pour GORILLES DANS LA BRUME, de distinguer le faux Orque épaulard mécanique des animaux dressés. La scène de l'avortement est particulièrement traumatisante - le soin apporté aux trucages peut d'ailleurs aussi être constaté à travers le détail, le fœtus d'Orque présentant bien les ébauches de membres postérieurs appelées à disparaître au cours du développement, qui manifestent l'origine terrestre de la lignée des Cétacés ( voir l'article "Darwin et la controverse sur l'évolution" ).

Il surgit dans la nuit au galop... c'est le Bison blanc, apparition spectrale mais non dénuée d'une redoutable puissance.

Heroïc-fantasy et fantastique 


De LAURENTIIS donne au Boa géant contre lequel se battait en KING KONG un héritier, un constrictor titanesque en lequel s'est changé un redoutable sorcier au cours d'une des épreuves qui attendent le héros éponyme de CONAN LE BARBARE, premier film inspiré par le personnage du Cimmérien inventé par l'écrivain Robert HOWARD. Voleur, puis guerrier solitaire, le personnage de Conan, qui fait connaître Arnold SCHWARZENEGGER en lui offrant son premier vrai rôle, combat pour sa survie dans un monde livré à la sorcellerie et prépare sa vengeance contre le diabolique assassin de sa famille, Thulsa Doom (James Earl JONES), devenu démiurge et grand prêtre d’un culte primitif zoolâtre. Le film de MILIUS, qui se concentre essentiellement sur la mystique nietzschéenne s'attachant au héros monolithique et la consécration de l'épée comme émanation suprême de la volonté capable de défier jusqu'aux sortilèges de la magie noire, accuse certaines longueurs, mais la beauté de la photographie, et surtout la musique sublime et extrêmement variée, composée par Basil POLEDOURIS - qui écrira aussi celle de ROBOCOP réalisé par VERHOEVEN, autre illustration de l'affirmation du héros vengeur, apporte par moment une réelle émotion à la vision du réalisateur, notamment lorsque Conan immole le corps de sa promise morte, Valéria, ou qu'il éradique le culte impie dans l'épilogue, faisant du film un véritable opéra instrumental, alternant le baroque, l'héroïque, le romantique et le mystique.


Même dans le monde antique et nitzschéen du Cimmérien, le Serpent est l'incarnation du Mal.

En 1984, POLEDOURIS apporte de nouveau son concours à la deuxième aventure du Cimmérien, CONAN LE DESTRUCTEUR, dirigée avec énergie par Richard FLEISHER, qui avait déjà tourné BARABBAS pour de LAURENTIIS. Le film se présente cette fois comme une aventure fantastique assez attrayante. La magie y est plus omniprésente, notamment au travers du superbe Château des songes qui se dresse au milieu d'un lac, et de Dagoth, un être surnaturel et malfaisant qui est appelé sur Terre par les séides de la reine Shadizar avide de pouvoir interprétée par Sarah Douglas ( qui a perdu sa candeur depuis LE CONTINENT OUBLIÉ ), projetant de sacrifier sa propre nièce vierge ( Olivia d'ABO ) à une monstrueuse divinité, créée par Carlo RAMBALDI. Le personnage de Conan s’humanise davantage, héros brave et intègre mais que son amour inconsolable pour sa défunte bien-aimée rend manipulable par de cyniques bonimenteurs lui promettant la résurrection de Valéria. Quant à la partition de POLEDOURIS, elle se montre assez envoûtante, notamment au terme de l'aventure, à la fois mélancolique et mystérieuse.

Restant dans la veine de l'héroic fantasy, de LAURENTIIS produit RED SONJA, toujours réalisé par FLEISCHER, avec en vedette une sculpturale inconnue, Brigit NIELSEN. Mais si CONAN a véritablement lancé la carrière de SCHWARZENEGGER, cette resucée n' a pas le même effet pour son homologue féminine et Dino de LAURENTIIS ne tarde pas à réaliser que le film est promis à un échec commercial certain. Il manifeste une nouvelle fois son caractère affirmé, en demandant à l'interprète de Conan de le rejoindre au plus vite. L'acteur, reconnaissant au producteur de lui avoir donné sa chance, se plie à sa demande, et celui-ci lui demande alors, sans lui donner d'explication, de réaliser des bouts d'essais durant quelques jours, le faisant monter à cheval et manier l'épée, avant de lui rendre simplement sa liberté. SCHARZENEGGER découvrira plus tard que l'intégralité des séquences tournées a été intégrée au film et que celui-ci a été rebaptisé KALIDOR, le nom du personnage auquel sa prestation a été attachée se substituant à celui de l'interprète féminine sur les affiches... Le montage fait des miracles, relatant en parallèle les aventures des deux personnages avant que ceux-ci ne se rencontrent enfin. Cependant KALIDOR, LA LEGENDE DU TALISMAN, demeure un assez terne pastiche de CONAN, et le plaisant anachronisme d'un automate en forme de monstre aquatique, ainsi que la présence d'une Araignée géante assez placide tenant compagnie à la Reine Gedren incarnée par Sandahl BERGMAN ( la Valéria de CONAN ), pas plus que la partition d'Ennio MORRICONE, moins marquante que celles de POLEDOURIS dans les volets précédents, ni même le final assez impressionnant avec l'ouverture de la terre engloutissant la machiavélique sorcière victime de son arme de destruction magique, ne suffisent réellement à soulever l'enthousiasme.


- Dino te remercie pour ta participation, Arnold! - Je cache ma joie, dit l'acteur qui promet qu'on ne l'y reprendra plus.

De LAURENTIIS associe son nom à des franchises de films d'épouvante célèbres. AMITYVILLE 2, au lieu d'une suite au film de Stuart ROSENBERG, AMITYVILLE LA MAISON DU DIABLE, s'intéresse au drame initial qui a définitivement ancré la demeure dans la mythologie des lieux maudits, à savoir à la dérive homicide du fils aîné de la famille, massacre que celui-ci a prétendu lors de son procès avoir perpétré sous l'influence de forces occultes diaboliques*. Le film réalisé par Damiano DAMIANI montre d'abord la séduction qu'il s'ingénie à exercer sur sa sœur adolescente au point que celle-là est prête à s'offrir à lui, mais cette corruption n'est pour lui qu'une étape de sa marche vers le Mal, le conduisant à décimer les siens, avant qu'un écclesiastique, qui suspecte le pire, n'ait eu le temps d'intervenir. Le film adopte la thèse de l'assassin, la fin présentant celui-là en proie à une horrifiante transformation, ses traits se modifiant pour devenir littéralement ceux d'un démon, créé par le maquilleur John CAGLIONE. Le film baigne dans une ambiance malsaine soigneusement entretenue, jusqu'au basculement final dans le fantastique.


La séduction de la sœur dans AMITYVILLE, prélude à un basculement dans l'horreur absolue.


Dans les films fantastiques, la noirceur finit souvent par se concrétiser sous une forme hideuse.

L'abomination se manifeste à nouveau à l'occasion du final d' AMITYVILLE 3 de Richard FLEISCHER, à la suite d'autres manifestations inquiétantes qui ont signalé la permanence du Mal dans la célèbre demeure. Cinéaste accompli, assisté du célèbre directeur de la photographie Jack CARDIFF ( voir hommage de mai 2009 ), FLEISCHER permet à AMITYVILLE 3 de se hisser au-dessus des produits formatés exécutés dans le sillage d'un succès. La traque d'un poltergeist, lueur mauve fluorescente, jusqu'à la cave, lieu où s'ouvre la brèche menant à l'au-delà, est particulièrement marquante, baignant dans un climat d'étrangeté surréelle inquiétante.


Une apparition indique aux occupants de la maison un chemin, à ne suivre qu'avec précaution. Bougre d'ectoplasme ! Le film était destiné à être vu en relief. 

Dino de LAURENTIIS a également produit HALLOWEEN 2 de Rick ROSENTHAL, rééditant en plus explicite les exactions du tueur masqué de la série, initialement mis en scène par John CARPENTER, ainsi qu'HALLOWEEN 3, premier film de Tommy Lee WALLACE, collaborateur habituel de CARPENTER et scénariste d'AMITYVILLE 2. Initialement basé sur un scénario de Nigel KNEALE, réécrit par le metteur en scène de manière à rendre l'horreur plus visuelle, le film tourne autour d'un fabricant de jouets, Cochran, qui s'avère être un sorcier résolu à rendre à Halloween ( originellement Samhain ) devenu un évènement commercial toute son épouvante métaphysique, ses masques étant pourvus d'un petit émetteur relié à un cristal prélevé sur le site magique de Stonehenge, devant déclencher une horreur effroyable sur ceux qui les porteront le soir fatidique. La représentation allégorique du mal au travers du tueur inhumain des deux films précédents devient dans HALLOWEEN 3 métaphorique: le visage d'un enfant porteur d'un des masques, utilisé comme cobaye par Cochran, explose pour révéler une myriade de serpents et d'araignées; John CARPENTER, qui a supervisé le film de Tommy Lee WALLACE, utilisera en 1988 de manière similaire pour PRINCE DES TÉNÈBRES l'image de grouillements de lombrics sur les vitres et de transformation d'un personnage en nuées de cafards pour illustrer la corruption satanique qui investit une vieille église. Le héros alcoolique joué par Tom ATKINS ( qui réitère son rôle dans LA NUIT DES EXTRA-SANGSUES ) tente de s'opposer à la manigance de Cochran, interprété avec une froideur glaçante par l'Irlandais Daniel O'HERLIHY - figure de la série de films ROBOCOP - qui lance à sa poursuite des automates meurtriers, depuis son usine de Santa Mira ( localité qui évoquera certainement quelque chose aux lecteurs ayant lu l'article précédent ). Dino de LAURENTIIS a eu l'intelligence de permettre aux créateurs d'HALLOWEEN 3 de porter à son terme un projet s'écartant considérablement du modèle de la série, aboutissant à un film assez original baignant dans une musique envoûtante composée par John CARPENTER, qui augure en partie de celle qu'il composera peu après pour CHRISTINE.


"Laissez venir à moi les petits enfants..." Cochran, un personnage redoutable, combinant la magie la plus effroyable avec la technologie de pointe et les techniques du marketing.

Les succès commerciaux des romans de Stephen KING ont incité le producteur à entamer une série d'adaptations de ses œuvres. CHARLIE ( FIRESTARTER ) de Mark LESTER met en scène une petite fille ( Drew BARRYMORE ) capable de déclencher des incendies à volonté, dont le pouvoir, comme dans FURIE, suscite la convoitise d'une inquiétante organisation. CAT'S EYE est composé de trois sketchs; les deux premiers mettent en scène des personnages très cyniques, le troisième un troll maléfique créé par Carlo RAMBALDI menaçant une petite fille ( interprétée par Drew BARRYMORE ), épisode qui a nécessité la construction de décors surdimensionnés de sa chambre pour créer l'illusion de sa petite taille. Stephen KING a lui-même réalisé MAXIMUM OVERDRIVE, qui dépeint le siège d'habitants cernés par des objets soudain animés d'impulsions meurtrières; l'écrivain, qui se montrait très critique à l'endroit des adaptations précédentes, s'est déclaré peu satisfait du résultat et n'a plus par la suite tenté de revenir à la mise en scène. Stephen KING a conçu un scénario original pour PEUR BLEUE ( SILVER BULLET) de Daniel ATTIAS, qui dépeint la recherche, dans une atmosphère assez oppressante, de l'identité humaine d'un loup-garou qui a commis plusieurs meurtres; c'est toujours Carlo RAMBALDI qui s'est chargé des effets spéciaux, mais le producteur les a quant à lui estimés décevants.

LES DÉMONS DU PASSÉ de Tom McLOUGHLIN est un téléfilm dans lequel on retrouve deux des thèmes principaux de Stephen KING, la malfaisance ordinaire et la nostalgie parfois douloureuse de l'enfance. Un enseignant affecté dans la commune dans laquelle il a grandi s'aperçoit que trois de ses élèves qui ont été assassinés sont remplacés par de nouveaux lycéens qui ressemblent en tous points à trois voyous décédés qui avaient causé autrefois la mort de son frère. Ceux-ci sont revenus de l'au-delà pour le tourmenter à nouveau et s'en prendre à son jeune fils. Après s'être heurté à l'incrédulité de ses proches, il s'efforce de leur résister, cherchant de l'aide auprès du dernier représentant de la bande en vie, rongé par sa culpabilité ( William SANDERSON, le J.F. SEBASTIAN de BLADE RUNNER ), et obtenant finalement le secours de son petit frère revenu à son tour de la mort pour éviter un nouveau crime. Le dénouement parvient parfaitement à susciter l'émotion devant la simplicité de ces éphémères retrouvailles, même si d'aucuns ont estimé que les effets dramatiques étaient un peu trop appuyés.


Le héros des DÉMONS DU PASSÉ, interprété par Tim MATHESON, confronté à un passé qui ne passe pas. Un des revenants apparaît sous une forme qui traduit sa vraie nature diabolique.

Le film relatif à Stephen KING qui, parmi les productions de LAURENTIIS, a été le plus favorablement accueilli est THE DEAD ZONE réalisé en 1983 par David CRONENBERG, qui avait déjà abordé le thème des pouvoirs paranormaux en 1980 avec SCANNERS, un affrontement entre télépathes œuvrant pour des organisations rivales. Christopher WALKEN ( vu dans BRAINSTORM ) y joue le rôle de Johnny Smith, un accidenté de la route plongé dans un long coma qui, à son réveil, réalise qu'il est doté de la capacité de voir l'avenir sous forme de flashs incontrôlables qui envahissent soudain son esprit et épuisent ses forces vives ( dans le roman, c'est l'addition de deux traumatismes qui cause la survenue de son pouvoir ). Devenu malgré lui une vedette après avoir permis le sauvetage d'une petite fille prise dans un incendie, Johnny vit en reclus pour éviter les innombrables sollicitations, et se sent d'autant plus solitaire que son ancienne petite amie s'est mariée durant son long séjour à l'hôpital. C'est avec réticence qu'il aide la police à résoudre une série de crimes sadiques, s'efforce de préserver la vie d'un enfant dont le père veut l'envoyer patiner sur un lac gelé qui va s'effondrer et, finalement, décide d'abattre un politicien, Greg Stillson, dont la mégalomanie causerait la troisième guerre mondiale une fois installé à la Maison blanche; il n'échouera qu'en apparence, son acte ayant permis de mettre à jour la véritable nature du personnage. THE DEAD ZONE émeut par sa simplicité sans fioriture, histoire touchante d'un homme ordinaire dont le destin lui échappe et qui se trouve contraint de remplir une mission qui le dépasse. Le style de CRONENBERG se fait tout en retenue, à l'image du médecin juif de Johnny Smith - incarné par Herbert LOM, qui avait notamment interprété le Capitaine Nemo dans L'ILE MYSTERIEUSE version Ray HARRYHAUSEN - qui, apprenant trop tardivement que sa mère a survécu à la seconde guerre mondiale, renonce finalement à lui révéler la vérité. Les acteurs donnent une vraie intensité à leur personnage, notamment WALKEN dans le rôle du visionnaire tourmenté, Anthony ZERBE ( mémorable dans l'épisode LA NUIT DU COMPLOT des MYSTÈRES DE L'OUEST ) en père intransigeant du petit garçon, ne réalisant que trop tard sa vanité, et Martin SHEEN, vu notamment dans NIMITZ, RETOUR VERS L'ENFER, en politicien charismatique, faussement chaleureux et dépourvu de tout scrupule.


Le tunnel hautement symbolique vu dans DEAD ZONE ( repris sur l'affiche du film ), auquel les éclats de lumière confèrent l'apparence d'une toile d'araignée; mène-t-il à la vérité ou à la mort?

Un certain découragement                              

Si L'ANNÉE DU DRAGON, enquête policière à Chinatown, a été unaniment acclamée, tout comme THE DEAD ZONE, d'autres productions ambitieuses de Dino de LAURENTIIS ne suscitent pas le même engouement.


Dino de LAURENTIIS était un des derniers producteurs à l'ancienne, un géant du cinéma que les critiques n'ont pas toujours ménagé.

Beaucoup de critiques trouvent très fade sa nouvelle version du BOUNTY, en dépit de la composition musicale marquante de VANGELIS. Ce film historique ne manque cependant pas d'intérêt, s'écartant de la vision traditionnelle, sans doute schématique. CHRISTIAN et le capitaine BLIGH y sont présentés initialement comme des amis, et ce dernier n'est plus la brute sadique incarnée par Charles LAUGHTON dans la première version, ni un supérieur odieux et inhumain tel que représenté par Trevor HOWARD dans la suivante, mais simplement un Britannique un peu guindé cependant capable d'inspirer partiellement la sympathie, au travers d'Anthony HOPKINS qui lui prête vie. L'épilogue rompt quelque peu cette vision plus nuancée du drame; il suggère bien la déréliction qui va frapper les mutins confrontés aux conséquences de leurs actes, mais, à l'inverse de la version précédente dans laquelle l'amirauté, tout en confortant l'autorité hiérarchique, blâmait l'officier pour son intransigeance et son inhumanité en lui faisant valoir que celles-la n'étaient pas pour rien dans la révolte de ses hommes, il délivre sans ambiguïté un satisfecit au Capitaine BLIGH pour avoir ramené en vie la majeure partie des bannis du Bounty qui partageaient sa chaloupe, en omettant les torts dont il a pu faire montre antérieurement à la mutinerie et qui ont suscité celle-ci; l'acteur jouant CHRISTIAN, Mel GIBSON, trouve même pour sa part que le film aurait dû prendre davantage partie pour l'officier renversé.

L'adaptation du roman de science-fiction mystique de Frank HERBERT, DUNE, était une entreprise audacieuse, ayant conduit à plusieurs tentatives précédentes avortées, d'abord en 1971 à l'initiative d'Edgar P. JACOBS, producteur de LA PLANÈTE DES SINGES, décédé avant que le projet ait abouti. Un second essai sans lendemain est initié en 1974 par une maison de production française, prévoyant de confier la mise en scène au chilien Alejandro JODOROWSKY, le rôle de l'Empereur à l'extravagant peintre Salvador DALI, et faisant appel aux services d'artistes, Chris FOSS, Jean GIRAUD-MOEBIUS et H.R.GIGER, qui œuvreront ultérieurement sur ALIEN à l'issue de l'échec. Dino de LAURENTIIS acquiert à son tour les droits en 1979 et engage Ridley SCOTT pour le diriger, mais, à nouveau, le scénario n'est pas jugé satisfaisant, en dépit de l'implication du romancier, et le metteur en scène britannique déclare forfait. De LAURENTIIS ne se décourage pas, renégociant, à l'expiration des droits d'adaptation, le contrat, en acquérant de surcroît ceux des suites du roman initial. En 1983, après six mois de réécriture avec le metteur en scène David LYNCH, un scénario suffisamment concis voit enfin le jour.


Dino et sa fille Rafaëlla, associés sur la production de DUNE.

L'hostilité quasi générale à l'encontre du film, accusé de trahir le roman, paraît très excessive, car si le synopsis condense l'intrigue, notamment la fuite dans le désert de Paul Atreides ( Kyle McLachlan ), suite à la tentative de massacre de la famille princière commanditée par le Baron Harkonnen, celui-ci est pour l'essentiel fidèle au roman, avec de surcroît l'apparition, dès le prologue, des Navigateurs de la Guilde, qui intervenaient dans la suite du livre, mais qui s'avèrent avoir un rôle essentiel dans les sphères de pouvoir initiateurs de la conspiration. Le film relate comment, vers l'an 10 000, Paul devient un véritable messie sur la planète des sables Arrakis après avoir échappé à la mort et renverse, avec l'aide d'une armée d'insoumis appelés les Fremen, l'Empereur de la galaxie et son allié Harkonnen, dont les intrigues visent à préserver l'approvisionnement en Épice, une substance engendrant des pouvoirs surnaturels qui est produite par les vers géants indigènes. David LYNCH lui-même estimera que sa créativité a été étouffée par la superproduction. Cependant, en dépit de son caractère mystique et grandiloquent - bien que Kyle McLachlan ait moins de charisme que Jürgen PROCHNOW qui interprète son père, le réalisateur a pu inclure dans DUNE les éléments thématiques réminiscents de ses deux premiers films, ERASERHEAD et THE ELEPHANT MAN. Au sexe présenté de manière dégradante dans ERASERHEAD ( la versatilité de la voisine d'Henry et le rire concupiscent et vulgaire de son partenaire d'un soir ) et THE ELEPHANT MAN ( le baiser forcé entre l' "Homme-Éléphant" et les prostituées au milieu des ricanements narquois ) qui combine sensualité détournée, désir d'avilir et violence, correspond dans DUNE le vampirisme abject du baron Harkonnen ( Kenneth McMILLAN, qui interprète le chef de gare dans RUNAWAY TRAIN ) sur de jeunes éphèbes sacrifiés qui a tout du viol. Le thème de la répulsion suscitée par la réalité organique du corps ( poulet rôti baveux parcouru de spasmes, fœtus immature, fragments interminables de cordon ombilical qui se changent en vers dans ERASERHEAD, difformités semblant le sceau injuste du destin dans THE ELEPHANT MAN ) est présent dans DUNE au travers des verrues dégoulinantes de pus du baron Harkonnen et des mutants inquiétants à l'aspect d'embryons démesurés créés par Carlo RAMBALDI ( les Navigateurs de la Guilde aux allures de limaces, transformés par L'Épice ), autant de représentations dérangeantes de la corporalité, perçue dans son altérité au travers de ses altérations dans une perspective suggérant un rapprochement avec les obsessions cronenbergiennes. Cette vision du corps envisagé dans sa matérialité la plus brute fait écho à un environnement presque organique lui aussi, suintant, empli de jets de vapeur, de canalisations intestinales moites, de bruits sourds de machineries, qui évoquent les soubresauts de la digestion effectuée par un gigantesque organisme, éléments omniprésents dans ERASERHEAD, évocateurs de la révolution industrielle dans THE ELEPHANT MAN, ou encore constituants technologiques du futur baroque de DUNE. La médiocre réception du film n'empêchera pas de LAURENTIIS de produire l'œuvre suivante de David LYNCH, BLUE VELVET, description, sans doute quelque peu surestimée, de la perversion ordinaire.


Encore un animal géant dû à l'initiative de Dino de LAURENTIIS, cette fois extraterrestre, un Ver géant de DUNE, malheureusement vu plus fugacement dans le film.

Dino de LAURENTIIS a aussi mis en chantier TOTAL RECALL, adaptation d'une nouvelle de Philip K. DICK sur le trouble de la personnalité d'un agent double, dont les scénaristes Dan O'BANNON et Ronald SHUSETT ont tiré un scénario échevelé. David CRONENBERG, à la suite de THE DEAD ZONE, devait en assurer la réalisation, mais celui-ci n'apprécia pas la direction que le traitement donnait à l'histoire et la réécrit à sa manière. Dino de LAURENTIIS soutint SHUSETT, qui estimait, paradoxalement, la version de CRONENBERG trop fidèle à la vision de l'écrivain, et le réalisateur décida alors de quitter le projet. Le producteur finira à son tour par déclarer forfait, découragé par l'échec commercial de DUNE, et seule la persévérance de l'acteur SCHWARZENEGGER désireux d'obtenir le rôle permet finalement au film de voir le jour avec de nouveaux producteurs, Carolco, spécialistes de films d'action. TOTAL RECALL, sous la direction de Paul VERHOEVEN, est une aventure trépidante qui entraîne le héros dans les tréfonds de Mars fraîchement colonisé, mais il est vrai que l'action préémine souvent sur l'atmosphère psychologique que CRONENBERG souhaitait pour sa part développer en confiant le rôle principal à William HURT, un acteur au jeu plus introspectif.

Ne rechignant néanmoins pas devant les difficultés, Dino de LAURENTIIS se lance dans une nouvelle aventure quelque peu risquée : donner une suite à KING KONG, en espérant renouer avec l'engouement populaire du film de 1976, faisant même appel au réalisateur du premier volet, John GUILLERMIN, de même à nouveau qu' à Carlo RAMBALDI pour les effets spéciaux. Si la disparition soudaine du gorille géant, tombé du World Trade Center - bâtiment détruit depuis par des terroristes - pouvait à l'issue de la projection inciter les spectateurs à souhaiter déraisonnablement un miracle permettant de rendre la vie au monstre, ce serait pour autant beaucoup s'avancer que de prétendre que son retour sur les écrans, après une période de dix ans, était particulièrement attendu. KING KONG LIVES débute sur des images spectaculaires de l'énorme animal, maintenu dans le coma artificiel depuis un an, surplombé par des passerelles sur lesquelles circule le personnel médical. L'équipe entreprend de greffer à Kong un cœur artificiel à sa mesure, mais il s'avère nécessiter une transfusion - par chance, une congénère femelle est découverte et ramenée aux États-Unis. Le monstre, de manière prévisible, s'arrache bientôt à ses entraves afin de retrouver la femelle dont il a détecté la présence, avant que les deux énormes animaux ne gagnent des zones moins peuplées. Le film peut difficilement rivaliser avec son modèle et sa scénographie parfaite commandée par le synopsis original. D'autres atouts de la version de 1976 font défaut : la partition de John SCOTT se fait très discrète, tandis que les péripéties, de par le cadre rural, sont moins spectaculaires; il faut cependant souligner le soin apporté aux décors, notamment aux arbres qui rendent l'effet d'échelle, alors que le gigantisme des deux Anthropoïdes n'est plus mis en valeur spontanément par le cadre urbain. Les effets spéciaux relatifs aux monstres eux-mêmes sont acceptables, mais le rendu est inégal d'un plan à l'autre. Plus gênantes sans doute sont certaines incohérences: passons sur la subite conversion du chasseur traqué par le Gorille géant femelle en protecteur inconditionnel d'une capture vendue sans état d'âme, mais l'absence de cicatrice pectorale au sortir de l'opération à cœur ouvert de King Kong est déconcertante, sans parler de la gestation éclair de la femelle, qui paraît donner naissance au petit au bout de seulement quelques jours - mépris des lois élémentaires de la biologie contrastant avec la consultation par les promoteurs du film d'un spécialiste de la chirurgie cardiaque, afin de rendre crédible l'opération sur laquelle repose le principe de la suite; il aurait été tout à fait concevable de ne révéler au spectateur l'existence du rejeton au côté de sa mère rendue à la jungle que lors de l'épilogue, concluant le film sur une touche d'émotion inattendue, mais les auteurs ont préféré verser dans le mélodrame, l'actrice Linda HAMILTON incitant avec insistance Kong mourant à regarder sa progéniture avant de s'éteindre. Par ailleurs, le premier rôle masculin parvient à inspirer la sympathie, mais ne possède probablement pas le même charisme que son devancier Jeff BRIDGES. John ASHTON - le shérif timide de TOMMYNOCKERS, L'INVASION COMMENCE - rend quant à lui fort justement le militaire obstiné; sa mort, alors qu'il est filmé de trois quart, couvert de sang, n'a malgré tout pas la force de celle du troisième rôle du film de 1976, Charles GRODIN, incarnant l'entrepreneur Fred Wilson réalisant brutalement qu'il va être écrasé par celui qu'il percevait comme sa propriété.


On n'impose pas durablement la discipline à King Kong, même convalescent... Un décor combinant le médical et l'industriel, dont on retrouvera l'esthétique peu après dans LA MOUCHE 2, la suite du film de CRONENBERG, qui fait découvrir le complexe de Bartok industries, juste évoqué dans le volet initial. La femelle ne goûte pas davantage la captivité. Les (très) grands singes ont droit au respect...


Les grands acteurs font souvent un rappel avant de sortir de scène; King Kong nous rejoue pour le plaisir la scène de sa mort.

Les aléas du succès mènent en 1988 à la faillite le Laurentiis Entertainment Group. Le producteur crée une nouvelle compagnie en 1990, Dino de Laurentiis Company, mais celle-ci se fera relativement discrète. En matière de fantastique, elle se limitera à EVIL DEAD 3 de Sam RAIMI, qui confronte l'acteur Bruce CAMPBELL à une armée de morts-vivants dans un style grand-guignolesque. De LAURENTIIS produira un film avec Sylvester STALLONE, ASSASSINS, et des adaptations du romancier Thomas HARRIS, avec LE SIXIEME SENS, puis les films réalisés à la suite du SILENCE DES AGNEAUX, autour de la figure d'un assassin sadique et d'une certaine fascination pour l'atroce.

De LAURENTIIS avait finalement prévu de revenir à la science-fiction, en produisant avec sa troisième épouse Martha une adaptation du roman SWARM de Frank SCHATZING, intrigue à tonalité écologique décrivant les attaques d'animaux marins contrôlés par une forme de vie unicellulaire pourvue d'une intelligence collective, qui tente de se débarrasser de l'humanité en raison des périls que son développement fait courir aux milieux marins.

Le producteur laisse cinq filles; son unique fils Frederico a été tué en 1981 lors d'un accident d'avion survenu tandis qu'il réalisait un documentaire sur la pêche au saumon; il aspirait à devenir photographe professionnel. Il s'était investi dans le remake de KING KONG de 1976, et l'une des nombreuses photos de gorilles qu'il avait prises au zoo de Los Angeles avait servi de modèle pour la sculpture du masque du singe géant.

Dino de LAURENTIIS a été un producteur éclectique qui a simultanément travaillé avec des réalisateurs prestigieux comme Ingmar BERGMAN ( L'ŒUF DU SERPENT ), et produit les adaptations assez déconcertantes de bandes dessinées, DANGER DIABOLIK, BARBARELLA et FLASH GORDON, si bien que le terme "kitsch" paraît avoir été inventé pour les qualifier. Ce dernier film, sorte "d'opéra-rock", a malgré tout, pour ce qui nous concerne, pour intérêt de nous permettre d'entrevoir deux créatures relativement réussies, le monstre tapi dans le sous-bois qui se saisit de Flash, et la petite créature pourvue d'un dard venimeux dont se servent les hommes de Barin à l'encontre de leurs captifs.


Traîtreusement embusquée sous un tapis de feuilles mortes, cette créature gloutonne attend l'imprudent dans le film FLASH GORDON ( 1980 ).

Cette difficulté a cataloguer dans un registre précis ce producteur se fiant à ses propres goûts, et sa propension à monter des productions démesurées, lui ont valu une image contrastée, voire même souvent dépréciative, d'un pourvoyeur de films dispendieux et artistiquement discutables. Pourtant, il a, par sa détermination, donné corps à bien des œuvres dont beaucoup sont estimables, et il s'est vu finalement attribuer en 2001 le prix Irvin Thalberg, qui récompense les producteurs éminents et qui atteste qu'il aura laissé sa marque dans le 7 ème art.

Le blog de Jean-François Berreville ou l'on retrouve le texte original et des documents différents:creatures-imagination.blogspot.com

Jean-François Berreville 

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