LA GAZETTE DU CLUB DES MONSTRES |
NUMÉRO 21
par Jean-François Berreville
LA TRILOGIE JURASSIC PARK DE NOUVEAU ENDEUILLÉE Triste 4 novembre 2008 aux Etats-Unis pour les amateurs de littérature et de cinéma : après la disparition cet été du spécialiste d'effets spéciaux qui avait donné vie aux Dinosaures de la série JURASSIC PARK, Stan WINSTON, c'est l'auteur des livres dont s'inspirait la série de films, Michael CRICHTON, qui est victime à son tour du cancer à l'âge de 66 ans. Bien que n'ayant pas à proprement parler inventé de créatures imaginaires ( si l'on excepte la molécule infectante à structure cristalline de LA VARIETE ANDROMEDE ), il avait redonné brillamment vie aux géants disparus dans le célèbre roman et sa suite. De grande taille puisqu'il dépassait les deux mètres, Michael CRICHTON connut également les hauteurs du succès de librairie, et, cas assez rares, il se fit également régulièrement metteur en scène pour le cinéma à partir de 1973 avec MONDWEST, bien qu'il n'était pas apparenté au cinéaste Charles CRICHTON ( la comédie UN POISSON NOMME WANDA et une version cinématographique d'un épisode de la série COSMOS 1999 ). Cependant, sa propension au succès ne l'empêcha pas de douter, traversant une période durant laquelle il perdit l'inspiration, et, insatisfait de sa vie privée, il fut marié cinq fois.
Contrairement à nombre d'écrivains de science-fiction plus âgés décédés ces dernières années, comme Alfred Elton VAN VOGT, Arthur C. CLARKE ou encore le génial Stanislas LEM, Michael CRICHTON n'était pas à proprement parler un auteur de science-fiction mais plutôt un écrivain généraliste. Auteur de la célèbre série télévisée URGENCES, inspirée par ses études de médecine, il abordait en effet les sujets les plus divers avec la même curiosité intellectuelle, recréant par exemple un hold-up ferroviaire célèbre avec son film LA GRANDE ATTAQUE DU TRAIN D'OR ( 1975 ), avec Sean CONNERY.
En raison de son intérêt pour les sciences, nombre de ses oeuvres s'apparentaient à la science-fiction. C'était le cas de THE TERMINAL MAN ( 1972 ), évoquant l'application de l'informatique à la neurologie, de LA VARIETE ANDROMEDE ( 1969 ) sur la contagion par un virus extraterrestre ou encore de MORTS SUSPECTES ( COMA ) en 1977, films qui abordaient le sujet de l'éthique médicale. Dans ce dernier, classique dont L'AMBULANCE de Larry COHEN paraît s'inspirer, une doctoresse découvre que son hôpital sacrifie certains patients pour alimenter le trafic d'organes, les dernières avancées thérapeutiques servant des objectifs purement lucratifs. Le directeur de la clinique, interprété par le squelettique Richard WIDMARK, estime qu'au regard de la médecine, "une grande force sociale", le sacrifice de quelques vies humaines est bien peu de choses. Cette plongée clinique et angoissante dans les coulisses et recoins les plus obscurs et secrets des institutions médicales suscite un malaise évident.
Si la mise en scène de LOOKER est un peu terne, le film anticipait dès 1981 les problèmes de droit à l'image consécutif à la numérisation des modèles; on sait depuis que nombre des mannequins apparaissant dans les publicités sont retouchés par ordinateur. Un chirurgien esthétique joué par Albert FINNEY, enquêtant sur la mort de ses patientes, comprend que leur meurtre a été commandité par leur employeur, le directeur d'une société de télévision, John Reston (James COBURN), qui veut les remplacer dans les publicités par leur double informatique exempt de tout défaut. Au-delà, Reston fomente le projet plutôt paradoxal de promouvoir les vertus individualistes grâce à un procédé de conditionnement des téléspectateurs. Le scénario de LOOKER n'est pas très vraisemblable, car on ne voit pas très bien pour quelles raisons un publicitaire assassinerait ses modèles lorsqu'il peut leur acheter le droit à l'image (les vedettes de cinéma font d'ailleurs couramment appel à des doublures lorsqu'elles doivent montrer à l'écran une partie de leur anatomie qu'elles jugent insuffisamment flatteuse). Le dénouement s'achève par un combat loufoque et réjouissant au milieu des plateaux de télévision affectés à la publicité subliminale.
RUNAWAY ( 1984 ), au rytme haletant, un film sans doute un peu sous-évalué, dans lequel Michael CRICHTON dirigeait Tom SELLECK ( connu notamment pour le personnage éponyme de la série policière MAGNUM ), demeure encore quelque peu en avance sur son temps en postulant la généralisation d'appareils robotisés complètement autonomes, bien que le détournement de la technologie par des terroristes soit beaucoup plus actuel. Son roman LA PROIE donnait corps aux craintes que peuvent susciter les nanotechnologies, avec ses minuscules machines auto-réplicantes de taille moléculaire - même si le thème avait déjà été précédemment abordé dans le roman LA MUSIQUE DU SANG de Greg BEAR, puis dans l'épisode UNE NOUVELLE GENERATION de la série AU DELA DU REEL, L'AVENTURE CONTINUE ( THE OUTER LIMITS ).
Son roman SPHERE, porté à l'écran par Barry LEVINSON ( LE SECRET DE LA PYRAMIDE ), invoque lointainement les extraterrestres, puisque l'artefact inconnu n'est principalement que le moyen de révéler les peurs des explorateurs, à la manière de l'océan organique de SOLARIS; contrairement au dénouement plus subtil du livre de CRICHTON, le film s'achève sur une pirouette qui pourrait sembler " tarkovskienne ", si celle-ci n'apparaissait pas comme procédant d'une naïveté déplacée alors que le grand cinéaste russe fait sourdre le surgissement brusque du paranormal d'un contexte mystique omniprésent dans son STALKER, où là aussi les pouvoirs psychokinétiques sont révélés par une puissance supra-humaine.
JURASSIC PARK ( 1990 ) - et sa suite LE MONDE PERDU ( 1995 ), en hommage au roman de Conan DOYLE - est bien sûr son roman de science-fiction le plus connu, qui repose sur une idée à la fois simple et géniale, à savoir le clonage de Dinosaures à partir de gouttes de leur sang contenues dans des moustiques préservés dans l'ambre - le spécialiste d'effets spéciaux Jim DANFORTH déclare avoir cependant précédemment envisagé un projet de comédie basée sur un concept voisin. A la suite des manigances d'un employé indélicat, les Reptiles mésozoïques ressuscités parviennent bientôt à s'échapper des enclos dans lesquels on les a placés afin de les présenter au public. Le roman met encore plus que le film l'accent sur l'enthousiasme que suscite le projet de longue haleine de rendre la vie à des espèces disparues, ce qui ne l'empêche pas de comporter également des scènes très angoissantes, comme l'attaque des Compsognathus ( qui est retranscrite à l'écran dans la séquence d'ouverture du second volet, LE MONDE PERDU de Steven SPIELBERG ), la volière avec les Ptéranodons ( séquence vue dans JURASSIC PARK 3, hélas beaucoup moins effrayante pour cause de Reptiles volants en image de synthèse ), ou encore la scène nocturne très sinistre dans laquelle un tout jeune Tyrannosaure s'amuse avec une cruauté évidente avec un personnage, avant de le mettre à son menu, séquence par contre demeurée inadaptée à ce jour. En dépit d'un certain nombre d'autres différences, telles la transformation de l'avocat téméraire en un personnage assez falot rapidement gobé par un Tyrannosaure dans une posture humiliante, l'interversion des personnalités des deux enfants, ou encore la première visite du parc préhistorique qui tourne au drame alors que, dans le roman, elle se déroule normalement, la tragédie ne survenant qu'ultérieurement, le film de Steven SPIELBERG restitue l'essentiel de l'esprit du livre, Richard ATTENBOROUGH incarnant avec un enthousiasme bonhomme le milliardiaire enthousiaste à l'idée de concrétiser un rêve d'enfant.
L'écrivain cédera, non sans réticence, à la tentation de ressusciter dans LE MONDE PERDU le mathématicien Ian Malcolm, porte-parole de " la théorie du chaos " - laquelle réintroduit la notion d'aléatoire en rupture avec la causalité mécanique définie par la physique newtonienne - qui avait trouvé la mort à la fin du roman JURASSIC PARK, à l'inverse de la version scénarisée qui en avait tirée pour le film réalisé par Steven SPIELBERG. La nouvelle vague de médiatisation des Dinosaures imputable à l'écrivain lui a valu l'honneur qu'on forme à partir de son patronyme le nom générique d'un Dinosaure végétarien cuirassé de la famille des Ankylosauridés, Crichtonsaurus.
Le canevas de JURASSIC PARK est à peu près comparable à celui de MONDWEST ( WESTWORLD ), écrit et réalisé en 1973 par Michael CRICHTON, dans lequel les automates d'un parc d'attraction, dont un terrifiant cow-boy joué par Yul BRYNNER, se dérèglent soudain et se mettent à tirer pour de vrai sur les visiteurs qui se réjouissaient d'avance de participer à une simulation. La première partie du film décrit avec quelque ironie cet univers admirablement organisé et totalement factice, peuplé de vacanciers assez puérils ; la seconde bascule dans la terreur avec la traque impitoyable des survivants par un androïde habillé en desperado (Yul Brynner), avançant implacablement vers ses victimes, insensible aux balles. De facture classique, le film est extrêmement efficace, réglé comme une mécanique à l'instar de celles, meurtrières, qu'il met en scène; l'androïde incoercible joué par Yul BRYNNER est réellement terrifiant, et Arnold SCHWARZENEGGER a reconnu qu'il avait constitué sa référence essentielle pour l'interprétation de l'androïde meurtier de TERMINATOR. Les producteurs décidèrent de donner une suite au film, LES RESCAPES DU FUTUR ( FUTUREWORLD ), dans lequel la technologie du parc est détournée par des conspirateurs qui veulent remplacer les hommes politiques par des androïdes à leur image, afin de servir leurs intérêts malhonnêtes; les plus cyniques diront sans doute qu'il n'est pas toujours si aisé de différencier les politiques des pantins.... CRICHTON n'hésitait pas à opter pour des points de vue irrévérencieux, comme dans son roman HARCELEMENT ( 1994 ), jugé anti-féministe car montrant comment les femmes peuvent être tout autant susceptibles que les hommes d'abuser du pouvoir - on se rappelle qu' il avait aussi été accusé par certains d'alimenter la xénophobie en mettant en avant l'emprise des sociétés japonaises sur l'économie américaine dans son roman SOLEIL LEVANT ( crainte déjà illustrée lors de scènes oniriques dans le célèbre classique BRAZIL de Terry GILLIAM ). A l'occasion de son roman ETAT D' URGENCE ( 2004 ) qui, à l'intar de l'excellent téléfilm BULLETIN SPECIAL d'Edward ZWICK de 1983 avec David CLENNON ( THE THING ), met en scène des éco-terroristes, il avait également récemment alerté sur les dérives potentielles de l'écologie lorsque celle-ci devenait une idéologie dogmatique - l'exemple des ampoules basse tension potentiellement dangereuses en fournit une illustration récente - même si on pourra se montrer plus réservé sur sa propension à minimiser les risques environnementaux, comme le réchauffement climatique conforté par divers relevés*, l'extinction dramatique de nombre d'espèces liée notamment à la réduction des espaces naturels ou encore les risques engendrés par l'utilisation de composés phytosanitaires chimiques potentiellement toxiques, alors que sa propre disparition illustre tristement l'augmentation constante du nombre de cas de cancers, même si l'écrivain contribuait à sa manière à rappeler que l'étude des faits ne doit jamais anticiper les conclusions.
Site officiel pour les anglophones : www.crichton-official.com ( *: on vient par exemple d'apprendre tout récemment qu'entre 1971 et 1993, la végétation a conquis environ 65 mètres en hauteur suite à la montée des températures, sans parler de la régression générale des glaciers, au Mont-Blanc, au Kilimanjaro ou encore en Himalaya. ) Le blog de Jean-François Berreville ou l'on retrouve le texte original et des documents différents:creatures-imagination.blogspot.com Jean-François Berreville |
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