Il est de coutume
lorsqu'une personnalité disparaît de la
célébrer par un concert de louanges; rarement cette
unanimité aura été aussi justifiée que
dans le cas du maquilleur Dick SMITH, disparu le 31 juillet 2014
à l'âge de 92 ans. L'homme était en effet
considéré comme la référence
incontournable du maquillage de cinéma à Hollywood et
tous ceux qui exercent la profession considèrent qu'ils lui
sont redevables tant il n'hésitait jamais à prodiguer
ses conseils. Ainsi, s'il estima que le jeune John CAGLIONE ne
montrait pas de dispositions particulières au maquillage et
l'incita à envisager une autre profession, Dick SMITH,
peut-être parce que lui-même avait commencé
à s'exercer au maquillage en amateur sans s'imaginer avoir
alors quelque talent en la matière, l'assura que, s'il
persistait dans son projet, il lui apporterait son aide, tant et si
bien qu'il en fit finalement son assistant.
Initialement, Dick
SMITH avait envisagé une carrière de prothésiste
dentaire mais après avoir craint la mort durant son service
pendant la seconde guerre mondiale, il décida qu'il devait
suivre la voie de son choix, le maquillage qu'il avait
découvert dans un livre de la bibliothèque
universitaire. Il adressa des photos de ses essais aux
départements de maquillage des principaux studios de
cinéma et reçut des courriers d'encouragement, mais
aucune proposition d'embauche. Son père l'incita à
intégrer l'univers de la télévision, où
il acquit expérience et assurance, ayant bientôt des
dizaines de personnes sous sa responsabilité.
Le jeune Dick
SMITH au travail sur une version télévisée
d'ALICE AU PAYS DES MERVEILLES de 1955 (photo tirée de la
galerie de maquillages de Dick SMITH sur la page internet : www.critique-film.fr/lart-de-dick-smith)
Dick SMITH a fait
du vieillissement son domaine d'excellence. Il vieillira ainsi Dustin
HOFFMAN pour LITTLE BIG MAN, Max Von SYDOW pour L'EXORCISTE (THE
EXORCIST), Marlon BRANDO pour LE PARRAIN (THE GODFATHER), David BOWIE
et Catherine DENEUVE - pour laquelle il réalise un faux buste
fort impressionnant montrant la vie drainée de
l'intérieur - pour LES PREDATEURS (THE HUNGER), F. Murray
ABRAHAM dans le rôle de SALIERI pour AMADEUS qui lui vaut un
Oscar du maquillage remarqué, ou encore Mel GIBSON dans
FOREVER YOUNG. Il s'applique notamment à rendre crédible
les couches de maquillage en y ajoutant des détails tels que
des tâches de pigmentation.
Dick SMITH est
également vénéré des amateurs de films
d'horreur. Pour la télévision, il a changé Jack
PALANCE en Mister HYDE en 1967 et créé une version du
visage du PORTRAIT DE DORIAN GRAY particulièrement
horrifiante. Dans L'EXORCISTE, on lui doit aussi les joues
dissimulant sous des poches le liquide poisseux vomi par Reglan
(Linda BLAIR) ainsi que sa tête qui tourne à 360
degrés, les morts vivants décatis, dont celui sans nez,
de LA SENTINELLE DES MAUDITS (THE SENTINEL) - voisinant avec
dauthentiques phénomènes humains, les apparitions
macabres du FANTÔME DE MILBURN (GHOST STORY), le corps à
diverses étapes de décomposition de la jeune
décédée venant tourmenter ses anciens amants, ou
encore le visage monstrueux boursouflé de la malheureuse
victime de la morsure d'un serpent géant de SPASMS, que tente
d'arrêter le personnage interprété par Oliver
REED qui est en connexion psychique avec la bête. Il a aussi
conseillé Chris WALAS et Stephan DUPUIS pour les crânes
parcourus de pulsation sous les effets de la télépathie
sur SCANNERS de David CRONENBERG. Dans LA MAISON DE L'HORREUR (HOUSE
OF HAUNTED HILL), il a eu l'occasion d'employer son concept non
utilisé sur GHOST STORY de spectre de femme à grande
bouche et sans yeux apparents.
Dick SMITH
entouré de personnages emblématiques auxquels il a
donné vie, la tête déformée
d'AU-DELÀ DU RÉEL, le visage vieilli de l'acteur Dustin
HOFFMAN pour LITTLE BIG HORN, une tête décharnée
pour LA SENTINELLE DES MAUDITS, la fausse tête de Linda BLAIR
pour la possédée de L'EXORCISTE et le visage
composé pour permettre à l'acteur Hal HOLBROOK
d'incarner pour un spectacle télévisé
l'écrivain Mark TWAIN.
La contribution
cinématographique dont Dick SMITH était le plus fier
est à juste titre les métamorphoses du film
AU-DELÀ DU RÉEL (ALTERED STATES) de 1980,
évoqué en novembre 2011 à l'occasion de la
disparition du réalisateur Ken RUSSELL. A la suite
d'expérimentations dans un caisson d'isolation, une drogue
provoque, à la manière du récent LUCY de Luc
BESSON, une résurgence d'une mémoire
génétique ancestrale de l'humanité, qui
s'incarne ici en de saisissantes métamorphoses, d'abord sous
les traits d'un homme préhistorique, puis, lors d'une nouvelle
session, au travers de la réduction à un état de
matière primitive.
Premier
surgissement des forces incontrôlées
déchaînées dans son propre corps par le
téméraire expérimentateur d'AU-DELÀ DU
RÉEL, se manifestant sous l'épiderme; le trucage est
réalisé par l'utilisation de poches gonflables
dissimulées sous une peau en latex, procédé mis
au point par le maquilleur en 1973 pour la gorge de Reagan dans
L'EXORCISTE (Joe BLASCO a eu recours à la même technique
pour la peau du ventre qui se soulève sous l'avancée
des parasites dans FRISSONS (SHIVERS) de David CRONENBERG en 1976).
Après une
première sculpture exécutée par un autre
artiste, Dick SMITH a réalisé ces trois sculptures
illustrant la métamorphose de Jessup, interprété
par William HURT, afin de montrer aux producteurs qu'ils pouvaient
être réalisés sous la forme de trois costumes
susceptibles d'être revêtus par l'acteur.
Tournage de la
séquence. Dick SMITH a aussi conçu une tête
démesurée, destinée à permettre une prise
de vue en gros plan avec la caméra se dirigeant vers la bouche distendue.
Pour le
dénouement, Dick SMITH a conçu différents
costumes pour la compagne de Jessup, Emily (Blair Brown),
elle-même entraînée dans le processus entropique
alors qu'elle tente de secourir son mari. Une séquence la
dévoilant sans peau ( voir creatures-imagination.blogspot.fr/2011/11/le-realisateur-dau-dela-du-reel.html
) a été supprimée, une autre montrant son corps
entrant en fusion, puis couverte de croûtes
séchées a aussi été édulcorée.
En dépit
des prodiges accomplis sur le film dont il pouvait à juste
titre senorgueillir, le chef maquilleur d'AU-DELÀ DU
RÉEL a cependant été déçu de
l'expérience, d'une part parce que certains costumes n'ont
finalement pas été utilisés, et d'autre part en
raison de la forte altération de ses costumes par les effets
spéciaux visuels qui leur ont été
appliqués en post-production pour illustrer le rayonnement
énergétique qui entoure et manque de
désintégrer les personnages. On peut se faire une
idée plus précise du caractère organique
dérangeant de la transformation finale dans l'épisode
que la série "La magie des effets spéciaux"
de Don SHAY a consacré à l'artiste :
Dick SMITH
n'était certes pas le seul maquilleur à travailler
à l'amélioration de la qualité des produits de
base utilisés et à dispenser ses conseils à ses
collègues, à l'instar de Ben NYE, qui travailla sur des
films comme LA MOUCHE NOIRE (THE FLY) et THE ALLIGATOR PEOPLE avec un
assistant qui s'appelait également Dick SMITH, avant de
créer en 1968 sa gamme proposée aux maquilleurs. Mais
en écrivant un manuel en 1965 rendant accessible son
expérience, ill a permis de vulgariser sa technique
auprès de tous les aspirants maquilleurs, permettant un gain
de temps très appréciable pour tous les grands
maquilleurs qui sont devenus ses émules, à commencer
par son élève éternellement reconnaissant Rick BAKER.
L'édition
originelle du manuel de maquillage spécial de Dick SMITH, sous
la forme d'un numéro hors-série de la revue "Famous
monsters" de Forrest J. ACKERMAN, et la couverture d'une
réédition avec une introduction de son apprenti Rick
BAKER, devenu à son tour une référence dans le
champ, mettant en valeur la figure de Quasimodo, le personnage
fantastique qui a donné sa vocation à l'auteur
lorsqu'il découvrit le secret du trucage dans un ouvrage
à la bibliothèque universitaire. Les photos sur la
créature de Frankenstein sont en ligne sur le site du Club
des monstres.
Dick SMITH
était très affaibli depuis un an, éprouvant
beaucoup de mal à reconnaître les visages, mais la
profession l'a cependant entouré d'attention et
célébré, et il a pu avoir de son vivant une
étoile sur le Boulevard des célébrités
d'Hollywood, peu après celle attribuée à son
disciple Rick BAKER.
La satisfaction du
maquilleur Todd MASTERS (NECRONOMICON, HORRIBILIS (SLITHER),
série FALLING SKIES) recevant une réponse positive
à sa demande d'obtention d'une étoile au nom de Dick
SMITH sur le Boulevard des célébrités d'Hollywood.
Dick SMITH avec
l'Oscar en 1984 reçu pour les maquillages d'AMADEUS. Il s'est
aussi vu décerner en 2012 un Oscar d'honneur pour
lensemble de sa carrière, une première pour la catégorie.
Kazuhiro TSUJI a
réalisé ce buste géant pour rendre hommage
à Dick SMITH. Les plus observateurs remarqueront que le
maquilleur n'a que quatre doigts à la main gauche. Sur le
tournage de sa première contribution au grand écran,
MISTY, en 1959, il s'est accroché l'alliance en sautant d'un
camion, et le doigt partiellement arraché fut gagné par
la gangrène. Le chirurgien l'amputa entièrement et
réarrangea la structure de la main de manière à
ce que le petit doigt occupe la place de l'annulaire manquant,
résultat que Dick SMITH désignera sous la plaisante
appellation de "main de Mickey", par allusion aux quatre
doigts de la main des personnages conçus par les studios de
Walt DISNEY.
Dick SMITH, dans
"l'au-delà du réel" des effets spéciaux
de maquillage, ses transformations à vue pour le film de Ken
RUSSELL ont préfiguré les effets spéciaux
conçus dans les années qui suivirent par son
élève Rick BAKER (LE LOUP-GAROU DE LONDRES/AMERICAN
WEREWOLF IN LONDON), et l'apprenti de ce dernier, Rob BOTTIN
(HURLEMENT/THE HOWLING, JOHN CARPENTER'S THE THING).