LA GAZETTE DU CLUB DES MONSTRES |
NUMÉRO 83
L'EVOLUTION
DES COSTUMES
DE
SINGES AU CINÉMA
par Jean-François Berreville
Alors que la nouvelle mouture de LA PLANÈTE DES SINGES (RISE OF THE PLANET OF THE APES) n'a récemment offert aux spectateurs que des personnages virtuels, on se propose de revenir sommairement ici sur l'évolution des costumes concrets créés pour incarner les singes au cinéma. L'homme a toujours été fasciné par les grands singes, en lesquels il reconnaissait une sorte de caricature non encore sortie de l'état de nature, avant qu'il ne réalise pleinement, non sans un certain effroi, leur parenté commune - qu'on se souvienne de l'émoi suscité par la publication de L'ORIGINE DES ESPÈCES par Charles DARWIN, nombre de croyants, enclins à une lecture littérale de l'Ancien testament, ayant estimé que cette théorie contredisait le récit de la Genèse et la création de l'homme à l'image de Dieu.
Cette
ambivalence, associant similitude anthropomorphique et image de
sauvagerie exacerbée telle que la fiction la présente,
fit du grand singe, et tout particulièrement du Gorille, un
acteur tout désigné pour pimenter les récits
d'aventure populaires et susciter l'épouvante, alors que les
pitreries simiesques se prêtent quant elles à la
comédie, et peuvent même participer de la fantaisie,
avec notamment les singes volants du MAGICIEN D'OZ ( THE WIZARD OF OZ ). DE BRILLANTS PRÉCURSEURS
Le
cinéma ne tarda pas s'emparer de cette figure.
Significativement, certains des premiers films se saisissent de la
thématique de l'évolution en rappelant le cousinage
entre les espèces. En 1908, THE MONKEY MAN met pour la
première fois en scène un savant s'appliquant à
échanger le cerveau entre singes et cobayes humains. Plus
explicitement encore, THE DOCTOR'S EXPERIMENT, OR REVERSING DARWIN'S
THEORY, démontre la même année que
l'expérimentateur est capable de faire régresser des
êtres humains à l'état simiesque ( ce qu'on
retrouvera des années plus tard dans une scène
mémorable d'AU DELÀ DU RÉEL de Ken RUSSELL (
ALTERED STATES ) - évoquée dans l'hommage
consacré à ce dernier en novembre 2011. L'année
suivante, une comédie française dont le titre original
n'est pas connu, AN APISH TRICK, montre l'altération simiesque
des traits d'un homme à qui l'épouse a injecté
du sérum prélevé sur des singes. Le film BLIND
AGAIN ( 1922 ) fait aussi apparaître un homme-singe dans le
laboratoire d'un sinistre expérimentateur.
On
aurait tort de croire que les gorilles vus dans les films anciens ne
faisaient appel qu'à de simples costumes d'Halloween vendus
par les magasins spécialisés en masques, farces et
attrapes. Sur MONKEY TALKS ( 1927 ), un drame sentimental prenant
pour cadre le milieu du cirque à la manière de LA
MONSTRUEUSE PARADE ( FREAKS ), dans lequel un dresseur de lion jaloux
remplace à l'insu d'une jeune fille son partenaire, un nain
déguisé en singe, par un vrai animal dangereux, le
costume a été conçu par un grand professionnel,
le maquilleur Jack PIERCE, futur auteur, notamment, des fameuses
transformations de Boris KARLOFF en créature de Frankenstein
et en momie. L'un des tous premiers maquilleurs, Cecil HOLLAND,
transforma aussi Bull MONTANA en Homme-singe dans LE MONDE PERDU.
Jason BARNETT, maquilleur et interprète de monstres (série BUFFY ET LES VAMPIRES) a récemment entrepris de constituer un fonds documentaire sur Charles GEMORA; un article et un petit montage sont visibles à cette adresse : /www.kickstarter.com/projects/1816447378/charlie-gemora-genius-monkeyman
GEMORA
a eu de nombreuses émules. Un autre interprète
célèbre est Raymond BENARD, connu sous le nom de
scène de Ray "Crash" CORRIGAN, par ailleurs acteur
de westerns et du sérial FLASH GORDON. Il incarne notamment le
féroce gorille de TARZAN, L'HOMME SINGE (TARZAN OF THE APES)
réalisé en 1932 par W.S. VAN DYKE, auquel les
pygmées sacrifient leurs prisonniers, préfigurant
l'imagerie qui triomphera l'année suivante avec KING KONG. Il
joue au côté de Boris KARLOFF dans THE APE (1940), film
dans lequel un scientifique se fait passer pour un gorille
évadé auquel il tente de faire endosser ses
méfaits expérimentaux, puis de Buster CRABBE,
l'interprète du rôle-titre du sérial FLASH
GORDON, y incarnant un gorille amoureux d'une jeune fille dans
NABONGA (1944), avant d' interpréter deux gorilles blancs,
dans THE WHITE GORILLA (1945) puis THE WHITE PONGO (1946). Tout en
continuant d'apparaître au cinéma ( incarnant en 1958 le
prototype du monstre d'ALIEN pour IT! THE TERROR FROM BEYOND SPACE ),
il se consacre de plus en plus à son projet de parc
d'attraction, Corriganville, qui ouvre en 1949, après, sentant
venir l'âge, avoir vendu l'année précédente
son costume de singe à un aspirant acteur, Steve CALVERT ( de
son vrai nom William SEEGER ), auquel il enseigne son art. Ce dernier
apparaît ainsi costumé dans JUNGLE JIM au
côté de Johnny WEISSMULLER, le plus célèbre
interprète de TARZAN. Il incarne ensuite des singes dans de
nouveaux films utilisant le ressort de l'évolution, tel BRIDE
OF THE GORILLA (1951), dans lequel l'acteur Raymond BURR est victime
d'une malédiction le changeant chaque nuit en gorille suite
à un crime passionnel, et la comédie BELA LUGOSI MEETS
A BROOKLYN GORILLA (1952), sorte de version humoristique de
LÎLE DU DOCTEUR MOREAU dans laquelle le
célèbre acteur hongrois interprète un
scientifique jaloux faisant régresser son rival amoureux
à l'état simiesque. Il connaît une triste
mésaventure sur la série télévisée
SUPERMAN avec George REEVES dans le rôle-titre; ayant
pulvérisé un spray couleur argent sur son costume
à la demande des producteurs qui désiraient qu'il
incarne un gorille albinos, il voit le caoutchouc être
rongé et la tête partir en morceaux!.. Son cachet
passera intégralement dans la fabrication d'un nouveau masque.
Suite à un accident vasculaire, CALVERT termine sa vie active
comme charpentier. Il convient aussi de citer George BARROWS, qui est
apparu en gorille dans des films comme BLACK ZOO (1963), dans
l'intrigue policière GORILLA AT LARGE (1954) ou encore dans le
fameux ROBOT MONSTER de 1953 ( un robot extraterrestre finalement
affublé d'un corps velu pour des raisons d'économie ),
et dans des séries télévisées comme LA
FAMILLE ADAMS ( THE ADDAMS FAILLY ). Emil VAN HORN a quant à
lui eu une carrière marquée par une certaine infortune
: interprétant le gorille d'un savant-fou, joué par
Bela LUGOSI qui s'est lui-même partiellement changé en
singe, dans THE APE MAN ( 1943 ), il n'est pas mentionné
à l'affiche des autres productions dans lesquelles il
apparaît, tels les sérials d'aventures JUNGLE GIRL et
PERILS OF NYOKA, et finit dans la pauvreté après le vol
de son costume de gorille. On se doit encore d'évoquer Janos
PROHASKA, qui a incarné de nombreux monstres dans les
séries télévisées, incluant un singe
albinos cornu, le Mugato, dans STAR TREK ( réminiscent de
l'"orangapoïde" incarné par Bull MONTANA dans
le sérial FLASH GORDON ) et plusieurs fois joué de
"vrais" singes comme celui du célèbre
épisode L'HOMME AU SIXIÈME DOIGT ( THE SIXTH FINGER )
d'AU-DELA DU RÉEL ( THE OUTER LIMITS ) portant sur des
expérimentations inspirées par l'évolution, y
compris au cinéma en 1971 dans la séquelle LES
ÉVADÉS DE LA PLANÈTE DES SINGES ( ESCAPE FROM
THE PLANET OF APES ); enfin, Bob BURNS, célèbre comme
Forest ACKERMAN pour sa collection d'accessoires provenant de films
fantastiques, a aussi endossé le costume de gorille dans des
productions le mettant notamment face à des super-héros.
Les génériques étant souvent incomplets, les
historiens du genre en sont parfois réduits aux
spéculations pour nommer les interprètes de divers
gorilles à l'écran, comme pour les apparitions de
l'athlète grec George KOSTONAROS, seulement reconnu
officiellement pour son incarnation de la créature
semi-simiesque créée à des fins vengeresses de
THE WIZARD (1927) d'après le roman BALAOO de Gaston LEROUX. On
pourrait encore ajouter à cette liste de ces interprètes
de l'ombre le nom d'Art MILES, dont le masque reproduisait les
traits d'un orang-outan, apparu notamment dans le remake de THE
GORILLA aux côtés de Bela LUGOSI.
Ces
acteurs s'efforcèrent de perfectionner leur costume pour se
rapprocher le plus de la réalité, et n'hésitaient
pas à passer des heures au parc zoologique pour observer
leurs modèles et saisir leurs attitudes. Charles GEMORA est
probablement le premier à avoir utilisé un nouveau
matériau, la mousse de latex, dans le cadre des effets
spéciaux de maquillage. Il façonna la tête du
gorille à partir d'un moulage de l'interprète pour une
meilleure adéquation et enduisit de noir le pourtour des yeux
pour estomper le raccord avec le masque, dont il fit fabriquer
l'armature articulée. Après avoir dans un premier temps
mis un rembourrage ordinaire dans son costume pour pallier à
son allure malingre et se rapprocher de la corpulence d'un gorille,
il opta finalement pour une outre remplie d'eau permettant de
restituer le mouvement naturel du ventre du grand singe. Il
construisit aussi une seconde paire de bras au poing fermé en
prolongement des siens, sur lesquels prendre appui, de manière
à pouvoir se déplacer comme un gorille dans certaines
prises. Emil VAN HORN employa de la même manière une
armature en métal pour l'ouverture de la gueule et des
prothèses pour allonger les avants-bras. La tête pouvait
aussi être capable de dilatation des narines, comme celle
portée par Steve CALVERT. La méthode la plus simple
consiste à employer une poche de caoutchouc reliée
à un tuyau et à une poire; comme le précise
Chris CASTEEL dit "The Mighty Bongo", qui interprète
le gorille dans des petites productions récentes comme THE
RETURN OF NYOKA THE JUNGLE GIRL, cette vessie, attachée
à l'intérieur du visage derrière les narines,
pousse celles-ci lorsqu'elle se gonfle. Les interprètes comme
Steve CALVERT qui étaient amenés à effectuer des
cascades périlleuses privilégiaient cette solution.
"L'homme-gorille" nous a également
précisé, toujours suite à la fort aimable
entremise de Mark COFELL ( sur le site duquel on trouvera bien
d'autres informations se rapportant aux interprètes en
costumes de la période : www.hollywoodgorillamen.com
), qu'il existait aussi un procédé mécanique
utilisant une tige actionnée par la lèvre
supérieure, agissant sur une petite plaque de métal
insérée dans l'espace des narines en caoutchouc, les
tirant de manière à simuler l'apparence d'un reniflement.
L'AGE CLASSIQUE FORGÉ EN 1968
En
1968, la création de costumes de singes devient l'objet d'une
attention toute particulière à l'occasion de deux
grandes productions, 2001 L'ODYSSÉE DE L'ESPACE (2001 SPACE
ODYSSEY) et LA PLANÈTE DES SINGES (PLANET OF THE APES). Pour
LA PLANÈTE DES SINGES de Franklin SCHAFFNER,
célèbre fable futuriste inspirée du roman de
Pierre BOULLE voyant nos plus proches parents nous supplanter, le
maquilleur John CHAMBERS décide de créer le visage de
ses singes en utilisant deux prothèses pour le rendre plus
mobile, l'une constituant le front, les arcades sourcilières
et le museau, la seconde formant un menton indépendant. Un
fond de teint est appliqué sur l'acteur afin d'obtenir un
raccord satisfaisant. L'équipe de CHAMBERS utilise une
peinture permettant la transpiration de l'acteur. John CHAMBERS met
au point un mélange d'alcool et d'acétone capable de
dissoudre les résidus de colle et de désinfecter les
prothèses de manière à pouvoir les
réutiliser sur des figurants au second plan.
On
peut voir des photographies rares des essais des costumes du film en
suivant ce lien :
C'est d'ailleurs Rick BAKER qui entreprit de mener à son terme la recherche de perfection pour obtenir le singe au réalisme le plus abouti. Jean-François Berreville Le blog de Jean-François Berreville creatures-imagination.blogspot.com |
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