LA GAZETTE DU CLUB DES MONSTRES |
NUMÉRO 84
L'EVOLUTION
DES COSTUMES
DE
SINGES AU CINÉMA
seconde
partie
par Jean-François Berreville
À LA RECHERCHE DU SINGE PARFAIT
Passionné
par les singes anthropoïdes, le jeune maquilleur Rick BAKER
s'était fixé l'objectif de "créer le singe
parfait", et y consacrera une part importante de sa
carrière. Il a l'occasion de s'y atteler dès 1971; sur
le film SCHLOCK ( sorti en 1973), c'est le réalisateur John
LANDIS qui endosse lui-même le costume de chaînon
manquant simiesque créé par le maquilleur pour cette
comédie. Quatre pièces de mousse sont utilisées
pour la tête, pourvue d'une mâchoire articulée, et
LANDIS se voit aussi doté d'une poitrine en caoutchouc. La
vague de chaleur lors du tournage met à rude épreuve le
costume, la transpiration de l'acteur amenant la fourrure postiche
à se décoller régulièrement; le
maquilleur en tirera la conclusion qu'il convient de toujours
disposer de pièces de rechange sur un tournage impliquant des
maquillages spéciaux.
Sur
le remake de KING KONG (1976), Rick BAKER collabore, plus ou moins
bien, avec Carlo RAMBALDI pour la création du costume de singe
qu'il doit revêtir au milieu de décors miniatures, la
version mécanique géante créée par les
équipes du spécialiste d'effets spéciaux italien
et celles de Glenn ROBINSON n'apparaissant finalement que très
fugitivement dans le film. Rick BAKER intègre des sous-couches
musculaires en mousse collées sous le costume pour respecter
la morphologie du gorille, et revêt le personnage d'une peau en
mousse de latex capable de suivre naturellement les mouvements.
Pour
LA FEMME QUI RÉTRÉCIT ( THE INCREDIBLE SHRINKING WOMAN
), comédie de 1981, Rick BAKER s'applique à se
rapprocher davantage de l'anatomie d'un vrai gorille; il le dote d'
extensions pour allonger les bras de manière à lui
conférer une allure quadrupède, tandis que sa poitrine
est constituée d'une partie dure pour constituer sa poitrine
et d'une plus molle pour l'estomac, de manière à ce que
les mouvements permettent de laisser entrevoir une cage thoracique
réaliste. Revêtant lui-même le costume, il
s'ingénie à imiter au plus près la gestuelle
d'un vrai singe. Plusieurs têtes sont construites, dont l'une
aux mécanismes internes.
Sur
GREYSTOKE (1984), il a pour la première fois la charge de
réaliser un grand nombre de singes mais s'attache
néanmoins à ce que chaque animal se voit créditer
d'une physionomie distincte de manière à les
individualiser. La tête animée par câble est
capable d'exprimer différentes émotions, avec notamment
un grand nombre d'articulations des sourcils pour conférer
plus de variété dans l'expressivité. Amener
à former des débutants, il avouera avec dû faire
des heures supplémentaires pour reprendre les résultats
jugés parfois peu satisfaisants des apprentis.
Les
bébés gorilles ont été
réalisés de trois manières, par l'utilisation de
marionnettes à main pourvues d'un visage et d'yeux
radiocommandés, par le recours au procédé dit
"slave system" qui reproduit le mouvement d'un animateur
sur un modèle robotisé, et par l'emploi de deux
bébés chimpanzés revêtus de costumes de
gorilles - bien qu'un prototype ait été
créé par le maquilleur William ( dit Bill ) MUNNS, un
spécialiste des maquillages pour animaux, c'est finalement la
maquilleuse Camilla HENNEMAN qui conçut les costumes avec
l'aide de Stuart ARTINGSTALL pour la fourrure.
Rick
BAKER a par la suite l'occasion de réitérer
l'expérience avec de nouveaux gorilles. En 1993, la
comédie BÉBÉ EN VADROUILLE ( BABY'S DAY OUT )
comporte un faux gorille, ainsi qu'un faux bébé humain animatronique.
A
la différence de GORILLES DANS LA BRUME, le film INSTINCT
(1998), dans lequel Anthony HOPKINS compose un personnage de
misanthrope préférant la compagnie des grands singes
à celle de ses semblables, n'emploie que des faux Gorilles.
La
production du remake de LA PLANÈTE DES SINGES (PLANET OF THE
APES ) connut quelque aléas. Rick BAKER qui avait
déjà été contacté au temps
où Oliver Stone devait diriger le film, en fut
évincé lorsque le projet fut repris sous l'égide
d'Arnold SCHWARZENEGGER qui voulait confier les maquillages à
son ami de longue date Stan WINSTON (voir plus bas). Lorsque
finalement Tim BURTON fut engagé en 2010, l'équipe de
BAKER, qui hérita des effets spéciaux, dut relever le
défi de mener à bien une tache considérable en
seulement trois mois.
L'ÉMULATION DANS L'EXCELLENCE
Avec
les contributions du maquilleur Rick BAKER, et notamment celles de
GORILLES DANS LA BRUME qui réussit l'exploit de rendre
indiscernables les animaux factices des véritables gorilles
utilisés par la production, l'intérêt pour la
création de maquillages ultra-réalistes de singes pour
l'écran ne décroît pas. Au contraire, Stan
WINSTON, s'appuyant sur les avancées de Rick BAKER, se montre
désireux de se mesurer à ce grand rival, et, au moment
où Rick BAKER cherche à diversifier ses
réalisations comme avec les maquillages d'extraterrestres des
MEN IN BLACK, Stan WINSTON se porte volontaire pour concevoir les
gorilles du film CONGO ( 1995 ), basé sur un roman de Michael CRICHTON.
La
jungle de CONGO a aussi été pourvue de superbes
hippopotames mécaniques, et on ne peut une fois encore que
regretter qu'un tel perfectionnisme appliqué à la
recréation du bestiaire ne soit employé également
pour la conception d'êtres imaginaires crédibles au
lieu des images de synthèse qui ont envahi les films de science-fiction.
Creature
shop, le studio d'effets spéciaux fondé par Jim HENSON
autour de la marionnetterie afin de concevoir les personnages
fantaisistes nécessaires, dont la réputation lui a valu
d'être engagé sur d'autres productions que celles de son
initiateur - voir article de mai 2010, a aussi saisi le défi
de donner vie à des singes réalistes en s'appuyant sur
son expérience, notamment pour MON COPAIN BUDDY (BUDDY), film
inspiré par l'histoire vraie d'un couple de New-Yorkais ayant
transformé leur appartement en véritable
ménagerie, celle-ci abritant notamment le gorille autour
duquel tourne l'intrigue.
La
même année, Creature shop concevait aussi les gorilles
de GEORGES DE LA JUNGLE (GEORGE OF THE JUNGLE), mais le
côté parodique du film et donc son moindre souci de
réalisme a permis cette fois de conserver les yeux des
figurants au travers du masque.
Sur LINK, un thriller sur un chimpanzé tueur, Lyle CONWAY ( RETURN TO OZ, DREAMCHILD, le remake de THE BLOB ) a élaboré lui aussi un costume de singe et maquillé un orang-outang en chimpanzé, celui-ci étant jugé plus docile pour le tournage. Bill MUNNS a conçu lui aussi un nombre important de costumes pour transformer des chimpanzés et orang-outans en gorilles sur divers projets non finalisés, incluant une première mouture avortée de CONGO initiée dès 1981 par Michael CRICHTON, et l'étude préliminaire pour GORILLES DANS LA BRUME déjà mentionnée.
Avec sa société Animated engineering spécialisée dans la création réaliste d'animaux mécaniques, Dave NELSON a conçu un chimpanzé incroyablement réaliste pour une comédie sur le base-ball, ED mettant en vedette ce sportif inhabituel. De la glace était installée dans le costume pour refroidir l'interprète.
Si
la nouvelle mouture de LA PLANÈTE DES SINGES joue la
facilité en n'employant que des singes virtuels au regard vide
comme le KING KONG du remake réalisé par Peter JACKSON,
des créateurs d'effets spéciaux traditionnels
continuent de mettre tout leur talent au service de la conception de
singes très convaincants. Ainsi, Tom WOODRUFF d'Amalgamated
Dynamics, a-t-il la même année créé un
gorille réaliste pour la comédie ZOOKEEPER. De
même sur VANILLA GORILLA, un film inspiré du gorille
blanc albinos du zoo de Barcelone qui manifestait des capacités
pour l'apprentissage du langage des signes, un costume a
été créé par Nik WILLIAMS, et Adam KEENAN
( LE GUIDE DU ROUTARD GALACTIQUE, en version originale, HITCHIKER'S
GUIDE OF THE GALAXY) s'est chargé des animatroniques,
démontrant que l'emploi des trucages infographiques
procède bien d'un choix délibéré et non
d'une impérieuse nécessité.
Malgré
le perfectionnement achevé des costumes de singe, il faut par
ailleurs souligner l'importance des interprètes, qui, depuis
Charles GEMORA, s'appliquent à observer les primates de
manière à retranscrire aussi fidèlement que
possible leur gestuelle avec l'aide des effets spéciaux. Deux
interprètes se sont plus particulièrement
spécialisés dans les rôles de grands singes dans
la période contemporaine.
L'Anglais
Peter ELLIOTT, passionné depuis toujours par l'imitation
d'animaux, a suivi une formation de comédien pour apprendre
l'art du mouvement et la profession de clown. Après avoir
exercé les professions de boxeur et plongeur, il intègre
le cinéma, et joue ainsi un Néandertalien dans LA
GUERRE DU FEU ( QUEST OF FIRE ). Il effectue une recherche
approfondie sur le comportement des primates à
l'université d'Oklahoma, et se fait même adopter par un
clan de chimpanzés, avant d'interpréter le principal
chimpanzé de GREYSTOKE et de se voir confier la
chorégraphie du jeu des autres comédiens en costume de
singe du film, distribution incluant John ALEXANDER
précité. Il croise à nouveau la route de ce
dernier sur OZ, UN MONDE EXTRAORDINAIRE (RETURN TO OZ),
interprétant un des "Wheelers", une créature
montée sur roues, tandis que John ALEXANDER incarne le Lion
peureux. Il compte aussi à son actif un nombre important
d'apparitions simiesques, comme le rôle-titre de KING KONG 2 et
celui de BUDDY, et fait aussi partie de la distribution de CONGO, sur
lequel, comme pour GORILLES DANS LA BRUME et HARRY ET LES HENDERSON,
il supervise la chorégraphie. Il dispense également des
cours de gestuelle animale aux élèves de la London's
Central School of Speech and Drama.
Pour
ma part, je confesse n'être guère
émerveillé par des singes qui ne sont que des
modèles virtuels obéissant à des programmes
mathématiques. Les vrais magiciens sont ceux qui, par leur
constante ingéniosité, et en miniaturisant à
lextrême les commandes, sont parvenus à
créer des anthropoïdes plus vrais que nature, capables
d'agir en temps réel devant les spectateurs, à
présent en parfait autonomie.
Un
spécialiste d'effets spéciaux du cinéma, George
YORK, a quant à lui uvré avec la compagnie WowWee
à la commercialisation d'un buste de chimpanzé
radiocommandé, nommé Alive Chimpanzé.
Jean-François Berreville Le blog de Jean-François Berreville creatures-imagination.blogspot.com |
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